Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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29 sept. 2012

dinosaur corporat°

dessin A.S.

Quand les dinosaures occupaient la planète, il y a plus de soixante millions d’années, de petits mammifères, nos lointains ancêtres, vivaient à leurs pieds dans des terriers qu’ils avaient creusés pour se protéger de ces monstrueux voisins. Le palais des expositions de Perpignan, grosse silhouette pataude qui ne tient aucun compte du paysage urbain qui l’environne est une sorte de dinosaure architectural : beaucoup de matière, peu de réflexion et encore moins de subtilité. Aux pieds de ses grands arcs se tenait l’autre week end, le « Forum des associations ».

Alors que l’architecture du « palais » ne dialogue avec rien, les petits homo sapiens présents à ce Forum étaient tout occupés à coopérer. Les « auxiliaires des aveugles et mal voyants » discutaient avec les responsables des « mandolines du Roussillon » qui présentaient toute une gamme de leurs instruments. « Les petits frères des pauvres » côtoyaient les promoteurs de la « gay pride perpignanaise ». On pouvait admirer une pyramide monumentale de fruits et de légumes bios, se faire maquiller (si l’on était un enfant) par l’amicale du quartier de Saint Asiscle, ou comparer les photos des cuirassés en mer de l’association « des anciens marins ou marins anciens combattants » à celles des superbes fleurs de « l’amicale des orchidophiles du Languedoc Roussillon ».

Les germes des villes vernaculaires sont-ils là, dans cette vie associative qui travaille secrètement les agglomérations d’aujourd’hui ? La petite foule qui parcourait ce « Forum » va-t-elle se mettre à l’œuvre avec du bois, de la chaux, des brouettes… pour édifier enfin un cadre de vie qui lui ressemble ? Les retraités, qui sont nombreux à s’investir dans le travail associatif vont-ils rajeunir et s’affirmer plus vigoureusement face aux dinosaures de l’industrie mondialisée ? Monsieur Charles Darwin que j’ai interrogé à ce sujet m’a répondu « It’s a good question. »

25 sept. 2012

progrès humaniste

dessin E.S.

Les Français sont fiers de leur gastronomie, de leurs innombrables fromages, de leurs vins délicieux. Ils sont également fiers de leurs cathédrales, palais et villes historiques, mais contrairement aux vins et aux fromages, ils n’ont pas l’idée de continuer à en produire de semblables et se contentent de « classer » ceux qui subsistent. De ce fait, les savoirs faire artistiques et techniques qui ont permis de constituer ce patrimoine bâti se perdent. C’est un peu comme si l’on écrivait des thèses sur le vin de Bordeaux ou le crottin de Chavignol, qu’on photographiait ces denrées sous toutes les coutures, qu’on les mettait au musée, mais que personne ne se souciait d’en produire ni d’en consommer de nouveau.

Quand on pénètre dans l’atelier de Serge Ivorra à Pézenas, et dans « le musée de la porte » qu’il a aménagé à proximité, tout change. Les savoirs faire des anciens menuisiers et charpentiers sont admirés et imités par les trois ouvriers hautement qualifiés et les six apprentis qui composent, avec Mario, le frère de Serge, le staff de la SARL. Une des vingt deux entreprises de menuiserie françaises agrées par les monuments historiques. Fines lèvres très rouges, cheveux grisonnants et bouclés, grands yeux intelligents, démarche souple d’un habitué des échafaudages, Serge fait visiter son atelier musée comme un maitre artisan du Moyen Age, les splendeurs de sa cathédrale. Fréquentant les décharges et chantiers de démolition, il récupère pour ses collections, des portes, des fenêtres, des pièces de serrurerie ancienne. Ils observe les essences de bois qui les constituent : noyer, peuplier, cyprès, robinier… et la façon dont ces menuiseries sont composées avec des assemblages à la fois simple et précis qui permettent de les démonter et de les remonter. Fils et petit fils de maçon, ayant suivi la formation des « compagnons » pendant sept ans, Serge est un homme de progrès. Il pense que nos menuiseries industrielles sont une régression et un danger. « En cas d’incendie, le bois résiste mieux que le plastique qui dégage des gaz très toxiques analogues au « gaz moutarde » utilisé pendant la première Guerre Mondiale. »

Ses apprentis, garçons et filles, l’entourent, l’écoutent, prennent goût avec lui au travail bien fait, à l’intelligence de la main tout en restaurant les menuiseries de l’hôtel Dieu de Marseille ou la porte du cimetière du Père Lachaise à Paris. L’ambiance est calme, détendue. Un des ouvriers, qui a réalisé son chef d’œuvre de compagnon à l’atelier, reprendra l’entreprise quand les frères Ivorra partiront en retraite. En sortant de là, je me suis dit que le progrès ne consiste pas à troquer le vin de Bourgogne pour du « coca zéro », ni la main de l’homme pour des machines à commandes numériques. Que le seul progrès qui vaille est celui de l’humanité en marche. Une humanité qui se doit de « construire » des individus solides, intelligents, inventifs et désireux de coopérer les uns avec les autres.

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18 sept. 2012

progrès industriel

dessin A.S.

Statistiquement, l'homme suit une évolution positive que l'on mesure dans l'innovation technique, l'inventivité artistique, la hausse de la scolarisation ou encore la baisse de la mortalité. Grâce à ce "progrès matériel", nous travaillons physiquement moins et nous vivons techniquement plus longtemps. Cependant, on doit se poser quelques questions plus en profondeur : nos outils et équipements nous aident-ils vraiment ? L'art est-il encore en relation avec la beauté ? L'école nous apprend-elle à mieux vivre en société ? Notre travail est-il agréable ? Qu'offrons-nous à l'avenir, à nos enfants ? Finalement, sommes-nous satisfaits ou, plus exactement, heureux ? Lentement, de questions en questions, l'affirmation du progrès s'étiole quand nous nous approchons les domaines insaisissables de la beauté, du bonheur, de l'accomplissement…

Notre bonheur augmente-t'il ? Difficile de répondre dans un domaine "métaphysique" ; on peut cependant noter certains symptômes, moments où le regard s’emplit de satisfaction, dans un bonheur quotidien marqué par le sourire et le chantonnement. Arrive alors le plus terrible des constats : les gens ne chantent plus, ne sifflent plus, ni sur leur travail, ni dans leur maison. Bientôt, on internera celui qui siffle encore. Mais les vieux se souviendront que le chant et le sifflotement étaient partout il y a encore une cinquantaine d’années, en cuisine, à la maison, chez le commerçant, à l’atelier, sur le chantier, dans la rue.  Pourquoi ? Tout simplement parce que nous nous contentons désormais d’écouter des sons fabriqués industriellement, la musique se trouvant enfermée dans des objets-médias et des évènements-concerts. Notre plaisir se limite à regarder celui d'individus fabriqués synthétiquement à échelle industrielle - l'industrie de la musique, de l'image. La chose insaisissable qu'était le chant a ainsi été transformée en biens commercialisables où le progrès industriel peut être mesuré : phonographe, radio, pick-up, magnétophone, walkman, MP3, 4, etc.

Le progrès industriel est inhumain car il détruit la beauté et le bonheur en les matérialisant ; anthropophage, aussi, car il demande toujours plus de ruse, de temps et d'énergie pour comprendre, fabriquer et se payer l'objet d'un plaisir individuel imitant le bonheur en société. Il en est de même avec la plupart des plaisirs conviviaux tournant autour de gestes simples et quotidiens : manger, travailler, parler, s'éduquer, marcher, aimer, et - bien entendu - construire et habiter. Distribués en tant que marchandises, les bonheurs individualistes et inanimés de la "consommation", de la "culture", des "loisirs" progressent en dévorant la vie humaine, faite d'action, de partage et de curiosité. Là doit se situer un autre progrès...

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13 sept. 2012

le salut de corbu

Voici une alerte envoyée par H.L. pour signaler que l'architecture du Mouvement moderne est elle-même victime des doctrines amnésiques contemporaines et de la laideur ordinaire de nos promoteurs :

En passant devant l'armée du salut, je me suis pris à faire le tour du chantier en cours, puis à essayer d'en savoir plus sur le projet (François Chatillon, Architecte en Chef des Monuments Historiques, est supposé en assurer la caution patrimoniale). A l'intérieur du bâtiment de Corbu, au premier abord, pas de vrai diagnostic / archéologie du bâti des éléments originaux en place, et un programme de mise aux normes brutale avec un budget trop restreint pour un bâtiment de cette importance. Passons.

Mais le plus inquiétant porte sur l'annexe de Candilis, conçue et construite en 75-78, non protégée. Le mur rideau est purement et simplement remplacé par une façade de type promotion immobilière (voir photo du chantier et du panneau de chantier)... Comment un ACMH a-t-il pu accepter de co-signer un tel projet ? Comment l'ABF a-t-il pu donner son accord à ce projet directement attenant à un bâtiment inscrit, dont il constitue l'extension ? Comment la ville peut-t-elle se vanter de suventionner un projet dont la commission du vieux Paris a demandé à au moins deux reprises de revoir l'esprit (voeux en PJ) ? Comment la fondation le Corbusier, qui est entrée dans des guerres pichrocolines à propos du finalement bien inoffensif projet de Renzo Piano à Ronchamp peut-elle se satisfaire du sort donné à une oeuvre-hommage d'un des plus fidèles fils spirituel du "maître" ? A ma connaissance, Docomomo ne s'est pas saisi du sujet ? Restera-t-il bientôt un bâtiment de Candilis en France qui ne soit pas démoli ou dénaturé ?

Ne faudrait-il pas faire quelque chose ? Mais peut-être certains de vous en savent-ils plus que moi sur ce projet qui n'a finalement fait que bien peu parler de lui ? N'hésitez pas à diffuser l'information.

11 sept. 2012

rues vivantes

Driss place Salengro, dessin A.S.

Architecte, urbaniste et grand amateur de jardins, Nicolas Soulier est un militant têtu et modeste des villes vernaculaires. Pendant trente ans il va observer avec attention les rues des agglomérations urbaines en France et dans nombre d’autres pays pour comprendre ce qui peut les rendre conviviales et agréables à parcourir, ou à rebours, anonymes et glaçantes. Fort de cette longue enquête et de son travail d’urbaniste de terrain, il fait un certain nombre de propositions pour éliminer les processus de "stérilisation" qui peuvent être le fait de règlements d’urbanisme ou de copropriété, mais aussi de la place excessive accordée aux voitures – "nous sommes chez elles, pas chez nous" – et il plaide pour promouvoir en retour des processus de "fertilisation" qui suscitent les initiatives et interventions des riverains. Il propose de passer du code de la route au "code de la rue", en limitant les vitesses à trente kilomètre heure, en encourageant l’usage du vélo, et en incitant les habitants à s’approprier et à aménager les "frontages". C’est ainsi qu’il désigne l’interface entre l’espace public et l’espace privée de l’habitation.

Il pense que la ville est vivante et qu’il faut apprendre à la cultiver en gérant les conflits d’usage entre ses habitants comme le jardinier les conflits possibles entre les différentes espèces qu’il a planté. Reconquérir les rues*, le livre, très illustré, qu’il a tiré de ses observations et expériences, est tout à la fois simple et lumineux. Si l’on veut que nos tristes urbanisations deviennent plus vivables, Il faut faire en sorte qu’il soit consulté de toute urgence par les architectes, les étudiants en architecture, mais aussi par les responsables des politiques urbaines, les aménageurs, les promoteurs…

7 sept. 2012

happy bungalow

dessin A.S.

Les contreforts des Pyrénées tombent abruptement dans la mer. Une crique couronnée de pins. L’eau est limpide, le ciel est bleu. Les baigneuses ont volontiers les seins nus. Leurs compagnons font gentiment la vaisselle dans les bassines en plastique référencées sur l’état des lieux de chaque bungalow. Un restaurant est agréablement aménagé en hémicycle autour d’une place, de quelques arbres et d’une estrade où j’ai dessiné hier soir Jordan et Henri venus de la lointaine Germanie nous jouer un air de jazz. Ils ont été suivis par un trisomique et sa famille qui ont poussé joyeusement leur petite romance. On entend parler polonais, espagnol, français, allemand… Les tentes utilisent des textiles innovants et des montants cintrés en fibres de carbone. Grosses voitures, caravanes impressionnantes, parasols made in Brazil, serviettes et maillots : l’économie est mondialisée. Les toilettes et douches sont propres. Pas d’incivilités à l’horizon, ni de chiens, ni de SDF. Les gérants du camping de Pola, près de Tossa de Mar, qui peut accueillir jusqu’à mille cinq cent personnes, veillent sur la tenue et la sécurité de leur instrument de travail. Un unijambiste sort de l’eau et rejoint, à cloche pied, sa fille de six ans. Un couple de vieux homosexuels se tient par la main.

On peut être comme on veut ici, à condition d’être sympa, ni trop riche, ni trop pauvre. Des gamins se faufilent en riant derrière des bouées de couleur. Le soir, les petites lucioles des tentes et bungalows illuminent de-ci, de-là, la sombre pinède sous le ciel étoilé. Bizarrement la promiscuité, qui est souvent mal vécue en temps ordinaire, est tolérée, voir recherchée. Des familles prennent leur repas au milieu d’une foule de gens et de voitures comme s’ils étaient sur une île déserte. On se passe d’eau courante, mais pas des instruments de la mobilité : véhicules, téléphones portables, bateaux gonflables, meubles pliables. C’est un remake du paradis des origines, pas romantique, ni vernaculaire, mais pratique et bien réel. Une façon d’investir un territoire tout en étant mobile, européen, et plutôt fraternel. Dans cette société sans classe (sinon la classe moyenne) on ne veut pas être plus chic que le voisin et la beauté, du coup, n’intéresse personne. La spiritualité non plus. Il n’y a ni chapelle ni lieu de prière. Le péché originel et la colère de Dieu sont de l’histoire ancienne.

5 sept. 2012

open communities

dessin A.S.


Souvenons-nous. Il y a deux mille ans, des hippies anarchistes arrivaient dans l’empire de Rome, voulant réduire le nombre de dieux à un, prétendant l’égalité, invoquant la multiplication des pains... Ils dirigeaient leurs pas vers les pauvres, les marginaux, les lépreux, les esclaves… Il y a quelque chose de cet ordre dans le voyage initiatique passionnant intitulé Sur les sentiers de l’utopie (édition Zones, 2011) d’Isabelle Fremeaux et de John Jordan, deux altermondialistes impliqués dans les camps climats. Le challenge est encore plus grand qu’en l’an zéro car il s’agit de se passer totalement d’une divinité et d’invoquer l’Anarchisme. Sur ce point s'ouvre une troisième piste pour nos villes vernaculaires : après l'habitat pré-industriel, les bidonvilles péri-industriels, arrive le do-it-yourself post-industriel... Très loin d'une balade en vélo dans Boboville ou du conseil en placement financier dans un écoquartier branché, il s’agit d’un carnet de route improbable, écrit et filmé dans une fourgonnette pendant un tour d’Europe reliant des lieux alternatifs sans religion ni gourou : les vieilles communautés hippies et les jeunes squats anarcho-punks, les premières fermes écolos autogérées et les derniers villages anars espagnols… Que sont-ils donc devenus ?

Ce livre-dvd est donc à lire impérativement pour le savoir. Nous y découvrons des expériences collectives qui ont parfois du recul et nous y voyons un style de vie construit comme l'exact-opposé du modèle capitaliste-consumériste, open communities vs. gated communities : ni dieu, ni maître, ni barrière, ni confort, ni sécurité, ni argent, ni conso, ni etc. On lâche du lest. Les auteur-e-s parviennent très bien à construire un fil conducteur dans leur étrange structure libertaire, montrant des méthodes pour décider et inventer une politique que nous découvrons "vernaculaire". Ils indiquent aussi certaines limites et finissent sur un appel vers un "Bauhaus pour le XXIe siècle". Merci pour ce souffle, les amis, c'est une excellente piste car il faut autant que possible mettre la lutte de côté et inventer-montrer la beauté, le bonheur, l'accomplissement... Multiplions les archipels ! L’architecture est peu abordée mais le texte insiste sur le D.I.Y. en tant qu'empirisme : on tente, on manque, on rate, on imite, on recommence, on se renseigne, on bricole, on s’accommode… Bien entendu, on n'y trouvera pas une ligne de conduite ou un récit d’architecture mais plutôt des aventures singulières qui tournent autour de hangars ruraux, dômes géodésiques, yourtes, baraques bricolées, cabanes forestières et maisons abandonnées. La construction s’arrête en général à des clous, des cordes et des empilements. La décoration se limite aux sculptures primitivistes, aux tags et aux affiches "style 68" sur fond de fockof, vivazapata et autres zobvolants... Tout un horizon culturel ! Mais n'en rions pas car ces rebelles sont bien moins ridicules que les victimes des gourous publicistes.

3 sept. 2012

racines et flux

L’univers des flux contemporains n'admet plus la moindre profondeur. Quand la vieille notion de racine est évoquée, c’est pour hurler contre un monstre conservateur, paternaliste, pour ne pas dire une doctrine nazi. Pourtant, tout à l’opposé, un autre cliché politique s'impose en résumant le monde des flux à la tyrannie d’un modèle ultralibéral et individualiste. A l’évidence, ces totalitarismes s’identifient dans une opposition terme-à-terme mais aujourd'hui nous subissons uniquement la dictature des flux globaux, où il n’est plus possible de poser les pieds sur terre, insensé de transmettre la moindre chose, inenvisageable de s’imprégner de l’endroit où nous vivons. Tout est réduit et normalisé pour circuler à travers le monde : chaque objet, chaque pensée, chaque individu peut parcourir le globe librement car les désirs et les modes de vie sont identiques et imposés à échelle globale. Notre logement devient un container sur gazon, notre langage est l’anglais, notre travail se résume à tapoter sur un clavier. La seule racine qui correspondrait à cette situation serait le stolon qui bondit, puise sa pitance là où il tombe, et rebondit aussitôt.

Faut-il donc faire l’autruche en plongeant la tête dans le sol pour y trouver une vraie racine ? Pas seulement, car nous risquons l’excès inverse d’une fausse-bonne-idée supposant qu'une chose serait vraie dans une authenticité mesurable à la profondeur de ses origines. Il n’est pas exagéré d’avoir peur car cette lourde doctrine s'inscrit déjà dans les normes paysagères, à l’intérieur des chartes environnementales émises par des administrations internationales - Europe ou Unesco… Elle s'applique déjà dans le règne végétal, en phytosociologie : un purisme des essences via des "habitats naturels" produits par les sols et les climats. Aujourd’hui, si une plante veut survivre à l’arrivée des paysagistes nouvellement formés, elle doit prouver que sa sève est pure, démontrer que sa présence sur ce sol est légitime et que ses racines s'enfoncent bien dans les profondeurs insondables du passé.

Fait étrange, la racine-pivot est une exception dans la nature, s’adaptant surtout à un sol fin, sableux voire mouvant ; à l’inverse, pour le jardinier, le stolon est une plaie, la diffusion non-maîtrisable d’une plante invasive apparaissant souvent sur des sols dégradés, pauvres ou instables. Flux-stolon ou racine-pivot sont finalement deux excès que nous pouvons comprendre comme les adaptations à notre monde en mouvement, instable et culturellement appauvri. La beauté véritable des racines, ni superficielles, ni ancrées sur un seul axe, nous la retrouverons après ces crises et ces illusions (moderne ou anti-modernes), quand le monde renouera avec lui-même, quand l’humain aura retrouvé sa place en son sein.