Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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28 nov. 2012

avec des si...

- Dis maman, pourquoi il y a des guerres ?
- Eh bien, le plus souvent c’est pour qu’on puisse chauffer nos maisons avec du fioul qu’on n’a pas chez nous, et pouvoir l’acheter suffisamment bon marché…

- Mais si tout le monde se chauffait au bois comme nous ?
- Eh bien, on en aurait quand même besoin pour faire marcher nos voitures.

- Et si on allait à cheval ?
- Il nous faudrait du terrain, au moins un hectare par cheval, et peut-être deux par famille…

- Alors il n’y aurait plus de ville, ce serait super !
- Et comment on ferait pour faire marcher les ordinateurs ?

- On aurait des centrales nucléaires !
- Et comment on ferait pour faire venir l’uranium ?

- Pas de centrales nucléaires alors...on aurait des éoliennes sur nos maisons !
- Et quand il n’y a pas de vent ?

- Et bien quand il n’y a pas de vent on ne peut pas jouer à Dofus ! Et c’est bien pour nous, de ne pas rester collé sur l’ordi…
- Mais il n’y a pas que des jeux sur un ordinateur : comment feraient ceux qui en ont besoin pour travailler ?

- Mais à quoi ça sert de travailler sur un ordinateur ?
- A communiquer instantanément des documents compliqués à des gens loin…

- Et ils ne pourraient pas habiter plus près ? Comme ça, tu les leur porterais à cheval ?
- Oui mais quand il pleut, quand il fait froid, quand on est fatigué, on n’a pas très envie de monter à cheval…

-Mais on n’a qu’à faire des voitures à cheval bien isolées et bien suspendues !
-Tu as raison, voilà une recherche d’avenir : la voiture à cheval confortable

22 nov. 2012

Rodin l'a dit

dessin Claude Hersant via wizzz.télérama


Qui l'a dit ? "Notre époque est celle des ingénieurs et des usiniers, mais non point celle des artistes. L’on recherche l’utilité dans la vie moderne : l’on s’efforce d’améliorer matériellement l’existence : la science invente tous les jours de nouveaux procédés pour alimenter, vêtir ou transporter les hommes : elle fabrique économiquement de mauvais produits pour donner au plus grand nombre des jouissances frelatées : il est vrai qu’elle apporte aussi des perfectionnements réels à la satisfaction de tous nos besoins. Mais l’esprit, mais la pensée, mais le rêve, il n’en est plus question. L’art est mort. […] Aujourd’hui l’humanité croit pouvoir se passer d’art. Elle ne veut plus méditer, contempler, rêver : elle veut jouir […] L’art, c’est de la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. C’est la joie de l’intelligence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre. L’art, c’est encore le goût. C’est, sur tous les objets que façonne un artiste, le reflet de son cœur. C’est le sourire de l’âme humaine sur la maison et sur le mobilier… C’est le charme de la pensée et du sentiment incorporé à tout ce qui sert aux hommes. Mais combien sont- ils ceux de nos contemporains qui éprouvent la nécessité de se loger ou de se meubler avec goût? Autrefois, dans la vieille France, l’art était partout. Les moindres bourgeois, les paysans même ne faisaient usage que d’objets aimables à voir. Leurs chaises, leurs tables, leurs marmites, leurs brocs étaient jolis. Aujourd’hui l’art est chassé de la vie quotidienne. Ce qui est utile, dit-on, n’a pas besoin d’être beau. Tout est laid, tous est fabriqué à la hâte et sans grâce par des machines stupides. Les artistes sont des ennemis. »
(Auguste Rodin, entretiens réunis par Paul Gsell, collection Idées / Arts, Gallimard.)

3 nov. 2012

machine conviviale

thème mécanisation / texte et dessin A.S. /

Laver. Sécher. Causer... Allure juvénile et petit visage ridé, madame X m’a emprunté soixante centimes pour faire marcher le séchoir du Lavomatic. Remarquant son léger accent étranger, je lui en demandais l’origine.

- Je suis d’ici, une pure catalane, mais j’ai fait un AVC il y a huit ans,
   qui m’a laissé sans pouvoir parler ni manger et à demie aveugle.

- Vous avez sûrement fait une rééducation avec un bon orthophoniste,
   car vous avez parfaitement récupéré.

- L’orthophoniste je l’attends toujours ! J’ai pris sur moi.
   Je me suis débrouillée seule.

Elle m’a alors raconté la bataille qu’elle a menée, des mois et des années durant, pour retrouver ses mots, arriver à les prononcer de nouveau. Puis elle est partie chercher la monnaie que je lui avais prêtée chez son amie coiffeuse de l’autre coté de la rue. Moralité : Nos voisins sont formidables et les machines à laver ne demandent qu’à être partagées.

2 nov. 2012

mère commune

thème : communaux / texte P.G. & dessin A.S./

Notons l’importance d'un glissement sémantique en remarquant qu'"intérêt" est désormais très loin de son point origine : l’interest en latin, l’intersum, est à la fois ce qui "est entre" et ce qui importe. Il est un lien faisant société et non un lamentable profit financier. De même, l’économie en grec ancien correspond à la meilleure gestion possible, non à une triste réduction des dépenses. Passons sur le mot capital qui désigne ce qui importe le plus, ce qui est à la tête… Oublions enfin le progrès, qui aurait pu glisser vers l'idée d'un "sens commun" mais se fond désormais dans la croissance du Pib que nos économistes véreux attendent comme le Saint Graal. Il est assez singulier que ces mots soient vulgarisés dans une logique monétaire bornée, alors qu’ils sont les clefs pour comprendre la relation intelligente des individus en société. Si nous voulons comprendre le sens de ces mots et sortir de notre prison financière, il nous faut ajouter un second terme : parlons déjà d’un intérêt-commun et d’une économie-soutenable, en attendant que s'imposent le capital-fondamental et le progrès-durable, pléonasmes qui se perçoivent étrangement comme des oxymorons !

Cependant, la globalisation économique et ses vaines tentatives d'extension sur la morale s'achève déjà sur une unique prise de conscience collective : nous vivons dans une biosphère et notre "intérêt commun" consiste à la préserver. Sa pérennité devient notre capital, mère des mères, grande poupée gigogne qui semble contenir toutes les autres. Matriochkas dont les éléments sont autour de nous aussi bien qu'en nous-mêmes. Petite dame Nature à la fois externe et interne, allant de la planète aux micro-organismes qui composent notre corps. Grâce à la sphère technique d'information qui va de l'échelle micro-individuelle à celle de la globalité, nous comprenons que nous sommes les fragments de Madame Gigogne. La biosphère entre dans nos têtes comme une évidence et nous n'avons déjà presque plus à nous fatiguer en multipliant les pléonasmes car chacun pressent ce que signifie fondamentalement capital, intérêt et économie. C’est l’avantage du glissement sémantique : il n’est ni irrémédiable, ni irréversible… Il glisse sur l’air du temps. A nous d’intégrer la logique gigogne de la biosphère. A nous de comprendre que le changement est toujours possible dans ces "intérieurs", en chaque lieu, de tout temps.