Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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10 oct. 2012

musée-monument

dessin A.S.

Les musées s’emploient souvent aujourd’hui à optimiser les flux de ceux qui les parcourent : il faut éviter les sièges qui pourraient les ralentir, les vues sur l’extérieur qui pourraient les distraire. Le but de ceux qui les managent est visiblement de faire du chiffre, pas de la poésie. Mille, cent mille, un million de visiteurs, c’est une manne pour le commerce et l’industrie touristique. Et n’allez pas critiquer puisque c’est pour une noble cause ! On peut voir dans ces musées des œuvres parfois superbes, mais les gens qui s’y rendent à la queue leu leu y sont passablement ridiculisés. Venir de Chine ou d’Amérique pour défiler devant de grandes ou de petites Vénus de Milo, un audio-guide à l’oreille et un appareil photo à bout de bras, a quelque chose de piteux . Et puis, par rapport aux torses de marbre et aux belles épaules des statues antiques, les anatomies chétives ou les gros ventres de leurs successeurs, en jean diésel ou simili, ne sont guère mis en valeur.

Comment seront les musées vernaculaires de demain ? Enracinés dans une histoire, dans un territoire ? Y en a-t-il déjà dont on puisse s’inspirer ? De passage à Paris, je suis allé l’autre jour au musée des Arts et Métiers. On peut y voir l’avion de Blériot, avec lequel il a traversé la manche en 1908, suspendu avec deux autres aéroplanes de la même époque dans la nef de l’ancienne église de Saint-Martin-des-Champs. Cette nef se termine par une abside, entourée de chapelles rayonnantes, qui inaugure (on est au tout début du douzième siècle) l’architecture gothique avec ses voûtes sur croisées d’ogives et ses grandes verrières. Témoignages croisés d’une révolution architecturale qui va engendrer toutes nos grandes cathédrales, et d’une révolution technique (le moteur à explosion) qui va permettre l’émergence puis le développement exponentiel du transport aérien et automobile, cette église-musée est un lieu qui oblige à la réflexion.

Qu’est ce qui est art et qu’est ce qui est technique dans notre aventure humaine ? Son aménagement avec une rampe dissymétrique en structure métallique qui permet de monter jusqu’au dessus des avions en admirant quelques machines et objets d’il y a cent ans, met joliment en scène les visiteurs qui s’y aventurent et qui découvrent les autres d’en haut. Nietzsche dit quelque part qu’il faudrait construire des lieux pour penser. En voilà un bel exemple. Les musées vernaculaires ne seront pas des machines à regarder, ou des dispositifs conçus pour gérer des flux de touristes désœuvrés, mais des lieux poétiques, propices à la méditation et à la rêverie. Des lieux où l’on se sentira soi-même acteur de la grande et un peu terrifiante aventure qui nous projette, sans nous demander notre avis, dans un espace et une histoire dont nous avons maintenant la charge.

2 commentaires:

  1. Ce rapprochement entre deux époques et deux inventivités évoque une sorte de poème masculin: les oiseaux mécaniques et les squelettes mystiques se tendent vers un ciel qui décidément a semblé une issue merveilleuse a de nombreuses générations d'hommes... La dynamique, l’érection, dans ses différents développements, toujours ingénieux et vains en même temps...
    Surement le regard d'une femme née avec la première crise du pétrole et qui porte un prénom d'homme.

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  2. Ce musée me semble également plus viril que vernaculaire, plus monumental que banal. Viril car il retrace une conquête révolutionnaire ayant pour but d’offrir les biens des riches à l’admiration du peuple. Ce "progrès" qui aurait sans doute charmé l’abbé Grégoire, fondateur du CNAM et singulier théoricien du patrimoine… Je vois ici un musée-monument : une sensation de transcendance, une croyance qui nécessite le calme et l’espace, la paix et la lumière, pour se recueillir religieusement. Certes, cette sacralisation est certainement préférable au brouhaha des foules tentaculaires et polyglottes reliées par audioguides.

    Mais les musées vernaculaires je les vois autrement, comme des lieux où l’on découvre ce qu’il y a ici seulement (d’hier à maintenant, et pourquoi pas en s’imaginant demain). Il serait finalement partout ce musée. Non pas dans les prouesses mais dans le banal. Non pas des biens rares et précieux mais du commun. Pas un avion mais une chaise, une assiette, une fenêtre, un trottoir… Car le commun dans nos villes vernaculaires serait extraordinaire aux yeux de celui qui voyage, le musée y étant presque inutile car "se recueillir" serait un acte quotidien, possible juste en franchissant la porte du voisin…

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