Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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30 juil. 2012

conception future

À l’heure actuelle, il y a des problèmes plus importants à résoudre que l’élaboration d’une version moderne de la Tour de Babel. Une conception de grande qualité est avant tout basée sur la résolution des besoins, sur le fait de trouver une solution simple tout en limitant les destructions injustifiées. On dénombre aujourd’hui plus de 7 milliards d’habitants dans le monde, la moitié vivant dans des zones côtières. En 2050, ils seront 9,3 milliards selon les estimations des Nations Unies et 75% habitera dans ces zones côtières. Cette pression démographique associée à la montée rapide du niveau des océans fait courir le risque d’un point de rupture imminent. La redéfinition des processus de conception est peut être la meilleure façon de résoudre les problèmes communs.

Construire des villes de la même manière qu’après la Seconde Guerre Mondiale ne permettra pas de faire face aux enjeux environnementaux d'aujourd'hui. Bien qu’une conception monofonctionnelle et statique ait résolu certains problèmes majeurs du 20e siècle, les conditions actuelles exigent d’avoir des bâtiments à facettes multiples afin de justifier leur construction. Lorsqu’un élément urbain ne répond plus aux besoins de la communauté, sa démolition suivie par la reconstruction d’un nouveau est considérée comme la solution commune « élémentaire ». Cela s’applique même aux bâtiments qui n’ont pas atteint leur période de fin de vie.

Cette conception rigide finit par coûter plus cher que l’édification. Outre la connaissance des effets néfastes produits par les méthodes de construction moderne, un travail d'analyse des données couplé à des procédés techniques connus peuvent grandement atténuer l'impact de l’Homme sur son environnement. La relation des gens avec leur environnement est primordiale pour l’épanouissement d'une communauté saine, heureuse et prospère. En plus des changements climatiques, les tissus de la société, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux évoluent également. Décennie après décennie, il devient de plus en plus difficile de prévoir les besoins de la ville de demain. Puisque ces derniers sont variables, impulsifs, et incertains, les architectes et les ingénieurs tentent de modifier leur manière de concevoir afin de servir une atmosphère versatile. Le processus de conception ne doit pas seulement offrir des solutions adaptées et fiables, mais également être ajustable et apte à l'amélioration continue.

29 juil. 2012

régionaliste

Avignon, Y.B.


Souhaitons que les architectures s’ancrent dans un territoire. Les aires géographiques y correspondant sont un peu floues, mais repérables dans les constructions vernaculaires. Ce sont les traces d’anciennes différences culturelles et de leurs parentés. Si on s’installe quelque part, à mon sens, on a le devoir d’architecte de s’intéresser à ces traces d’admirations passées, par lesquelles l'Humain a construit un paysage particulier, suivant ses moyens matériels et ses attachements (économiques, fiscaux, militaires mais aussi gastronomiques, agricoles, familiaux, culturels, esthétiques ...). Evidemment ces attachements se sont modifiés, et surtout ceux liés à l’argent (comment on le gagne et comment on le dépense). Mais il reste une inertie, le monde mobile présenté comme un modèle désirable dans les médias, n’est plus aussi séduisant qu’après-guerre. Aujourd’hui dans chaque commune rurale une grande part de la population habite dans le même canton que ses parents. Alors que dans les villes nous sommes totalement soumis au discours dominant, les régions rurales restent indécises, à l’exode des années 1960 succède une ré-attachement local.

Les architectes commencent à comprendre que le "déracinement" encore revendiqué dans les couronnes des villes, puisqu’il est le reflet des populations elles-mêmes, n’a pas vraiment de sens à la campagne. Les zones rurales devenues touristiques, cherchent à retrouver une part de leur caractère. Evidemment les moyens utilisés ne sont pas aussi efficaces que prévu. Les règlements d’urbanisme bizarres, les appels d’offre où les matériaux d’apparence locale sont favorisés, les expositions sur les traditions agricoles, gastronomiques, ou même constructives n’empêchent pas la défiguration des paysages : les nappes de pavillons de constructeurs s’étendent, suivant scrupuleusement les règles d’urbanisme… Les zones dites artisanales et commerciales continuent leur déploiement de tôles colorées et de surfaces goudronnées. Les bâtiments publics soit suivent l’esthétique bon marché de la villa « ça m’suffit », soit copient les vedettes de l’architecture mais avec de petits budgets… Le travail de réappropriation d’une culture que l’architecte doit transmettre se retrouve encore absent de la plupart de ces nouvelles constructions. L’adjectif « régionaliste » a été accolé à des architectes tellement différents que l'on sait pas s’il veut encore dire quelque chose. Il a servi aussi pour l’écrivain Jean Giono : dans ce cas, prenons-le volontiers à notre compte.

28 juil. 2012

bar et science

A l’angle de la rue Bichat et de la rue Alibert, face à l’hôpital Saint- Louis, existe un bar fréquenté par le ‘‘petit peuple’’, des S.D.F. entre autre, peut-être quelques fripons (la racaille comme on dit aujourd’hui). Et puis aussi des gens du quartier qui viennent avec leurs enfants en bas-âge et leur chien. Les chiens font connaissance et manifestent leur joie lorsqu’ils rencontrent un copain ou une copine ; les femmes et les hommes aussi mais c’est plus rare et moins démonstratif. Un bar ordinaire pour gens simples. Or ce bar possède le plus beau comptoir que je connaisse. Dans le plus pur style des années 30. Mélange de matériaux, bois, cuivre, marbre rose et marbre gris, ornementation sous forme de médaillon. Le tout magnifiquement construit et composé, joignant l’utile à l’agréable.

Or en 1957 ce style ‘‘art déco’’ était honni par les profs et les adolescents de ‘‘bonne famille’’ de ma génération qui comme moi suivaient des cours de dessin et de décoration à ‘‘La Grande Chaumière’’. On jugeait que ce style fait de poncifs était ringard. . . Encore aujourd’hui, même si je ne suis pas ringard, cela me laisse pensif. Peut-être n’ai-je pas compris à l’époque que les modes se suivent et qu’il est de bon ton, pour marquer que l’on est dans le coup, de renier la mode précédente, laissant aux pratiquants adorateurs de la mode en cours l’illusion qu’ils sont les meilleurs, qu’ils ont fait un pas dans ce qu’ils croient être un progrès qui les élèvent, qu’ils appartiennent à une élite. Le bon goût, pensent-ils, ce sont eux ; il leur appartient. près avoir parlé de progrès dans les modes en art, parlons d’évolution : Evolution dans les Arts comme dans le monde du Vivant.


27 juil. 2012

mur en terre

dessin A.S.


Oublions les catalogues de Batimat, et surfons plutôt sur Wikipedia, à la rubrique pisé. Terre, pisé, bauge, les matériaux de demain seront seront certainement ceux d'hier, oubliés depuis l'expansion industrielle et redécouverts grâce à l'hypermémoire d'internet. Ils ne seront pas pour autant "regressifs". Le pisé est un très bel exemple : solide, économique, facile à mettre en oeuvre, avec d'excellentes propriétés pour isoler. Une matière qui peut se trouver sur le lieu même de la construction, sans le moindre déplacement. Aucune énergie grise.

Inutile pour autant de s'acharner à revenir vers la méthode traditionnelle : à chacun de voir comment optimiser son usage, utiliser des méthodes mécaniques, des coffrages en acier (de toute façon, ils existent), pourquoi pas une charpente en béton pour monter de nombreux étages. A chacun de regarder le paysage alentour, d'ajouter diverses roches et terres, de cuire quelques briques, de s'inspirer des formes et des couleurs. A voir : www.lesgrandsateliers.org/

23 juil. 2012

trois fées

J’aime à penser que, depuis des dizaines de milliers d’années, depuis l’apparition du langage, des arts et des pratiques religieuses, trois fées se penchent sur le berceau de chaque petit homme qui vient au monde et lui offrent chacune un présent.

La première lui donne la capacité d’associer les causes et leurs effets. Grâce à ce don, il deviendra un homo sapiens malicieux capable de se servir d’une lame de silex ou d’un ordinateur et d’imaginer des stratégies complexes et efficaces. La seconde lui insuffle un désir de transcendance au-delà de sa fragile condition. Ce don le conduira, au fil des ans, à s’intéresser aux paroles du chaman, du prêtre ou du philosophe et à se dévouer parfois à une cause commune et même à s’y sacrifier. La troisième enfin, le gratifie d’une sensibilité particulière à l’harmonie et à la disharmonie et d’une attirance pour la danse, les parures, la musique, les représentations figurées et pour tout ce qui suscitera en lui le sentiment de la beauté. Ces trois fées ont longtemps vécu en bonne intelligence et les sociétés leurs ont rendu également hommage. Ce n’est plus le cas de nos jours.

18 juil. 2012

banal (déf.)

dessin A.S.


Banal -. Chacun doit connaître l'aphorisme d'Auguste Perret : "Celui qui, sans trahir les matériaux ni les programmes modernes, aurait produit une œuvre qui semblerait avoir toujours existé, qui, en un mot, serait banale. Je dis que celui-là pourrait se tenir pour satisfait. Car le but de l’art n’est pas de nous étonner ni de nous émouvoir. L’étonnement, l’émotion sont des chocs sans durée, des sentiments contingents, anecdotiques. L’ultime but de l’art est de nous conduire dialectiquement de satisfaction en satisfaction, par delà l’admiration, jusqu’à la sereine délectation".

Le banal est le noir entre les étoiles, le silence entre les notes de musique, les blancs entre les caractères du texte, l'herbe, dans une prairie. C'est un fond d'écran, un geste quotidien. Il est de tous les jours, de tous les instants, de tous les lieux. Il semble là de manière permanente, suivant une vérité locale et une simplicité atemporelle. Nous savons que le banal peut être un mal ou un bien - comme un individu est d'un caractère heureux ou triste, méchant ou sympathique. Après, chacun à ses bons et ses mauvais moments, des évènement où l'on peut se révéler tout autre. Instant de bonheur dans une vie de tristesse, moment de colère pour un tempérament pacifique. Ou, plus simplement, des variations, des contrepoints, des absences, des densités.

12 juil. 2012

architecture bonheur

dessin A.S.


Je termine un bouquin stupéfiant de profondeur et de simplicité : L’architecture du bonheur d’Alain de Botton. C’est en livre de poche et on peut l’acheter pour sept euros cinquante. Tous les gens qui s’intéressent à l’architecture ou au bonheur, devraient le lire sans tarder. Il parle parfaitement bien de ce qui fait la qualité d’une construction et il aborde le problème de la beauté avec un pragmatisme à l’anglo-saxonne, sans idéologie, ni lutte de classe, ni psychanalyse, ni sentiment d’une apocalypse imminente. Il raconte.

Il raconte, avec une élégante simplicité ce à quoi nous sommes quelques uns à penser depuis des années : que l’architecture pâtit de vouloir être systématiquement originale ou innovante, qu’il ne faut pas qu’elle ai peur d’être parfois ennuyeuse. Que sa beauté tient à la façon dont ses différentes parties s’accordent les unes avec les autres. Dont elle dialogue elle-même avec son environnement, son époque et les activités qu’elle abrite. Et il plaide pour qu’on arrive à élaborer les fondements d’une esthétique qui fasse consensus et qui nous permette de créer des villes « vernaculaires » qui nous mettent dignement en scène et n’aient rien à envier à celles du passé. Alain de Botton n’est pas architecte. C’est un écrivain suisse qui a abordé de multiples sujets de société. Il est né en 1969, vit et travaille à Londres.

3 juil. 2012

dessin revival

dessin A.S.

Grâce à Internet, la pratique du croquis « à main levée » est devenue une aventure artistique collective. Les blogs se multiplient et chacun peut confronter son travail à ceux des dessinateurs avec lesquels il se sent des affinités. En 2008, un artiste espagnol, installé à Seattle aux USA : Gabriel Campanario fonde le site, urbansketchers, avec pour objectif de publier gratuitement des croquis urbains de qualité pris sur le vif. Succès planétaire. Une communauté informelle riche de près de cinq mille membres s’est peu à peu constituée autour de ce site. On ne compte plus les balades, carnet de croquis en main, qui se sont déroulées sous ses auspices à Singapour, en Argentine, à Barcelone, en Australie, à Moscou… Un livre à été publié regroupant un florilège de croquis. Des rencontres sont organisés, à Lisbonne, Saint Domingue....

Des dessinateurs travaillent de plus en plus souvent ensemble, confrontent leurs façons de faire, se stimulent. Tous les styles se côtoient dans une belle fraternité, et l’on y découvre les villes du monde avec une fraicheur et une acuité que le flot d’images photographiques avait complètement émoussé. Alors que les grands dinosaures de l’art contemporain comme Jeff Koontz ou Daniel Buren broutent toujours les steppes désolées de l’espace médiatique officiel, de petits mammifères se sont mis au travail. Plus vulnérables, ils ont aussi plus de cervelle. Grâce aux réseaux de savoir-faire et de reconnaissances mutuelles qu’ils tissent entre eux, les regards s’affinent. On observe les édifices avec plus d’attention, on les aime, on les critique. Et forcément, ils vont se distinguer les uns des autre, s’embellir… Les villes vernaculaires seront bientôt là. Pour hâter leur venue, il faut les dessiner et mettre sur la toile les dessins qu’on en fait.

1 juil. 2012

machine humaniste

dessin A.S.

La machine et l’homme : le sujet semble toujours épuisé. Il faut sans doute réviser ses classiques avant d’en reparler, relire William Morris, Isaac Asimov… ou plonger plus profondément pour détricoter le combat intemporel entre créateur et créature. Ne perdons pas de temps ! La vieille mécanique d’acier et de rouages n’existe plus. Le perfectionnement est si fin que nos machines atteignent déjà une dimension moléculaire. Elles prolongent avec fluidité chaque geste et chaque pensée (qui ne va pas sur internet chercher un mot, une technique, un objet). La machine méphistophélique qui nous dépasse et s’impose avec une lourde rigueur de forme et pensée (simple ou complexe) n’a plus sens.

La machine de demain sera un emballage translucide, aussi économe en énergie qu’en matière. Elle n’imposera rien et ne fera qu'aider à nous accomplir dans une proximité corporelle quotidienne. Elle sera l’intelligence collective à portée de main, celle qui vous accompagne "naturellement". L’architecte sera là, avec tel paysage autour, telles plantes, tels animaux, tels usages, et il pourra imaginer avec une liberté inédite comment travailler : dans la dépense ou l’économie, seul ou à plusieurs. Il sera finalement plus libre que jamais et, bienheureusement, il aura jeté depuis longtemps ses catalogues et revues "techniques" pour redécouvrir avec bonheur la préciosité des liens qu'il faut tisser entre humains !
P.G.
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