Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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28 nov. 2012

avec des si...

- Dis maman, pourquoi il y a des guerres ?
- Eh bien, le plus souvent c’est pour qu’on puisse chauffer nos maisons avec du fioul qu’on n’a pas chez nous, et pouvoir l’acheter suffisamment bon marché…

- Mais si tout le monde se chauffait au bois comme nous ?
- Eh bien, on en aurait quand même besoin pour faire marcher nos voitures.

- Et si on allait à cheval ?
- Il nous faudrait du terrain, au moins un hectare par cheval, et peut-être deux par famille…

- Alors il n’y aurait plus de ville, ce serait super !
- Et comment on ferait pour faire marcher les ordinateurs ?

- On aurait des centrales nucléaires !
- Et comment on ferait pour faire venir l’uranium ?

- Pas de centrales nucléaires alors...on aurait des éoliennes sur nos maisons !
- Et quand il n’y a pas de vent ?

- Et bien quand il n’y a pas de vent on ne peut pas jouer à Dofus ! Et c’est bien pour nous, de ne pas rester collé sur l’ordi…
- Mais il n’y a pas que des jeux sur un ordinateur : comment feraient ceux qui en ont besoin pour travailler ?

- Mais à quoi ça sert de travailler sur un ordinateur ?
- A communiquer instantanément des documents compliqués à des gens loin…

- Et ils ne pourraient pas habiter plus près ? Comme ça, tu les leur porterais à cheval ?
- Oui mais quand il pleut, quand il fait froid, quand on est fatigué, on n’a pas très envie de monter à cheval…

-Mais on n’a qu’à faire des voitures à cheval bien isolées et bien suspendues !
-Tu as raison, voilà une recherche d’avenir : la voiture à cheval confortable

22 nov. 2012

Rodin l'a dit

dessin Claude Hersant via wizzz.télérama


Qui l'a dit ? "Notre époque est celle des ingénieurs et des usiniers, mais non point celle des artistes. L’on recherche l’utilité dans la vie moderne : l’on s’efforce d’améliorer matériellement l’existence : la science invente tous les jours de nouveaux procédés pour alimenter, vêtir ou transporter les hommes : elle fabrique économiquement de mauvais produits pour donner au plus grand nombre des jouissances frelatées : il est vrai qu’elle apporte aussi des perfectionnements réels à la satisfaction de tous nos besoins. Mais l’esprit, mais la pensée, mais le rêve, il n’en est plus question. L’art est mort. […] Aujourd’hui l’humanité croit pouvoir se passer d’art. Elle ne veut plus méditer, contempler, rêver : elle veut jouir […] L’art, c’est de la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. C’est la joie de l’intelligence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre. L’art, c’est encore le goût. C’est, sur tous les objets que façonne un artiste, le reflet de son cœur. C’est le sourire de l’âme humaine sur la maison et sur le mobilier… C’est le charme de la pensée et du sentiment incorporé à tout ce qui sert aux hommes. Mais combien sont- ils ceux de nos contemporains qui éprouvent la nécessité de se loger ou de se meubler avec goût? Autrefois, dans la vieille France, l’art était partout. Les moindres bourgeois, les paysans même ne faisaient usage que d’objets aimables à voir. Leurs chaises, leurs tables, leurs marmites, leurs brocs étaient jolis. Aujourd’hui l’art est chassé de la vie quotidienne. Ce qui est utile, dit-on, n’a pas besoin d’être beau. Tout est laid, tous est fabriqué à la hâte et sans grâce par des machines stupides. Les artistes sont des ennemis. »
(Auguste Rodin, entretiens réunis par Paul Gsell, collection Idées / Arts, Gallimard.)

3 nov. 2012

machine conviviale

thème mécanisation / texte et dessin A.S. /

Laver. Sécher. Causer... Allure juvénile et petit visage ridé, madame X m’a emprunté soixante centimes pour faire marcher le séchoir du Lavomatic. Remarquant son léger accent étranger, je lui en demandais l’origine.

- Je suis d’ici, une pure catalane, mais j’ai fait un AVC il y a huit ans,
   qui m’a laissé sans pouvoir parler ni manger et à demie aveugle.

- Vous avez sûrement fait une rééducation avec un bon orthophoniste,
   car vous avez parfaitement récupéré.

- L’orthophoniste je l’attends toujours ! J’ai pris sur moi.
   Je me suis débrouillée seule.

Elle m’a alors raconté la bataille qu’elle a menée, des mois et des années durant, pour retrouver ses mots, arriver à les prononcer de nouveau. Puis elle est partie chercher la monnaie que je lui avais prêtée chez son amie coiffeuse de l’autre coté de la rue. Moralité : Nos voisins sont formidables et les machines à laver ne demandent qu’à être partagées.

2 nov. 2012

mère commune

thème : communaux / texte P.G. & dessin A.S./

Notons l’importance d'un glissement sémantique en remarquant qu'"intérêt" est désormais très loin de son point origine : l’interest en latin, l’intersum, est à la fois ce qui "est entre" et ce qui importe. Il est un lien faisant société et non un lamentable profit financier. De même, l’économie en grec ancien correspond à la meilleure gestion possible, non à une triste réduction des dépenses. Passons sur le mot capital qui désigne ce qui importe le plus, ce qui est à la tête… Oublions enfin le progrès, qui aurait pu glisser vers l'idée d'un "sens commun" mais se fond désormais dans la croissance du Pib que nos économistes véreux attendent comme le Saint Graal. Il est assez singulier que ces mots soient vulgarisés dans une logique monétaire bornée, alors qu’ils sont les clefs pour comprendre la relation intelligente des individus en société. Si nous voulons comprendre le sens de ces mots et sortir de notre prison financière, il nous faut ajouter un second terme : parlons déjà d’un intérêt-commun et d’une économie-soutenable, en attendant que s'imposent le capital-fondamental et le progrès-durable, pléonasmes qui se perçoivent étrangement comme des oxymorons !

Cependant, la globalisation économique et ses vaines tentatives d'extension sur la morale s'achève déjà sur une unique prise de conscience collective : nous vivons dans une biosphère et notre "intérêt commun" consiste à la préserver. Sa pérennité devient notre capital, mère des mères, grande poupée gigogne qui semble contenir toutes les autres. Matriochkas dont les éléments sont autour de nous aussi bien qu'en nous-mêmes. Petite dame Nature à la fois externe et interne, allant de la planète aux micro-organismes qui composent notre corps. Grâce à la sphère technique d'information qui va de l'échelle micro-individuelle à celle de la globalité, nous comprenons que nous sommes les fragments de Madame Gigogne. La biosphère entre dans nos têtes comme une évidence et nous n'avons déjà presque plus à nous fatiguer en multipliant les pléonasmes car chacun pressent ce que signifie fondamentalement capital, intérêt et économie. C’est l’avantage du glissement sémantique : il n’est ni irrémédiable, ni irréversible… Il glisse sur l’air du temps. A nous d’intégrer la logique gigogne de la biosphère. A nous de comprendre que le changement est toujours possible dans ces "intérieurs", en chaque lieu, de tout temps.

27 oct. 2012

sens commun

dessin R.H.

Brice Couturier, défenseur des lumières, comme il aime à se présenter sur France-Culture tous les matins, disait récemment que notre devoir est de chercher le commun parce que la diversité nous l’avons déjà… Il me semble que nous sommes en train de perdre la diversité sans gagner le commun. La morale universelle des droits de l’homme semble un socle commun raisonnable, mais nous oblige- t-elle à une forme commune ? Désirer porter le voile me parait du même ordre que préférer des murs en pierre de 1m80 de haut le long de son jardin. On peut l’interpréter comme un acte défensif excessif, mais aussi comme un certain confort social. Je ne dis pas qu’il faut mettre des murs partout ou porter le voile, je dis que certains villages magnifiques sont subdivisés en parcelles emmurées sans que ça déchaine les foudres du vingt-heures, alors que le fait de porter le voile semble une atteinte aux droits de la femme en l’occurrence. Je n’ai pas été élevée ni sous un voile ni à l’intérieur de murs, mais j’admets volontiers que l’un et l’autre puissent paraître nécessaires, culturellement et psychologiquement dans certains cas.

Le caractère universel d’une morale devrait se limiter à reconnaître l’autre comme de la même espèce que soi. Si c’est le cas, elle postulera que tuer et voler, c’est mal et qu’il vaut mieux ne pas mentir ni faire souffrir autrui. Au-delà de ça, chaque culture fait son nid, et souvent accepte certaines souffrances, en échange d’actes d’une valeur censée être supérieure. Souvent elle préfère faire souffrir l’individu pour préserver l’ordre social. Notre société occidentale essaie d’inverser cette tendance en privilégiant l’individu au détriment de la collectivité. Dans un cas comme dans l’autre la souffrance arrive toujours à un moment du parcours. Vouloir éradiquer la souffrance, c’est supprimer la condition humaine. Les cultures anciennes s’évertuent à donner un sens à cette souffrance. La culture internationale postule que la souffrance n’a aucun sens, et la rend extrêmement angoissante. Plutôt que de surmonter la souffrance (qu’elle soit physique ou morale) par le sens, on cherche à la surmonter par la technologie, voire l’"humain augmenté". Le sens est quelque chose que chacun peut s’approprier, la technologie s’achète.

C’est dans ce schéma que se retrouve l’architecture, condamnée à subvenir au confort physique de l’individu, plutôt qu’à construire des sens communs, localement, où chacun puisse trouver sa place. La forme universelle me semble un système totalitaire , par définition sans issue, puisque sans autre possibilité. La relocalisation de la forme est une nécessité aussi bien écologique qu’esthétique, voire démocratique.

=> sujet [communaux] / message précédent : intérêt commun

22 oct. 2012

intérêt commun

dessin N.D.

L'architecture vernaculaire et les villes et la campagne qu'elle génère, facilitent la condition d'homme face à l'adversité du "monde". L'architecture vernaculaire reflète une proximité du monde naturel, physique, symbolique et la nécessité de vivre en "intelligence" avec. Ajoutons que les villes et la campagne vernaculaires favorisent l'"intérêt commun" des hommes. Par exemple, si nous pensons aux menuiseries d'une habitation vernaculaire, la porte en bois révèle la forêt qui a permis à l'arbre de pousser, mais aussi la main de l'homme qui a façonné la matière. L'homme est ainsi à la fois proche du monde et de ses semblables. La pérennité de la porte, de la forêt et de l'action du menuisier prend alors spontanément sens.

L'action humaine est moins vaine dans l'héritage et la transmission d’un patrimoine, matériel ou immatériel, qui interpelle la mémoire et permet son adaptation (on en revient à la "règle générative" albertienne et au principe d'"imitation" cher à Quatremère de Quincy...), car nos semblables ne sont pas simplement les vivants qui nous entourent, mais aussi les êtres d'autres époques et de demain (par exemple le menuisier qui a fabriqué cette porte ancienne et l’enfant qui l’utilise aujourd’hui). Dans ce sens, l'architecture vernaculaire, dans ses lentes transformations et son ancrage dans le paysage qu'elle constitue tout à la fois, est rassurante pour l'âme humaine. Elle sert un intérêt commun au delà de notre propre finitude. Un groupe industriel qui conçoit une porte qui finira la génération suivante dans une décharge ne fait pas société. Je dirai, enfin, que l'architecture vernaculaire ne garantit pas nécessairement le "bonheur" (la "tranquillité de l'âme" dans le sens antique) mais que son cadre le favorise, de la même manière que les formes urbaines classiques avec leurs places publiques favorisent l'entente des citoyens sans pour autant la garantir... L'agora peut être le lieu de la concorde mais aussi le théâtre d'un coup d'état. Mais sans agora, peu d'espoir d'une entente citoyenne…

"De même, en effet, que l'opinion des hommes n'est pas le même sur toutes les choses que le vulgaire considère en quelque sorte comme des biens, mais qu'ils s'entendent sur certaines d'entre elles, celles qui touchent à l'intérêt commun ; de même, c'est ce but, le bien commun et public, qu'il faut se proposer." (Livre XI, Marc-aurèle, Pensées pour moi-même)

=> sujet [communaux] / message précédent : progrès humaniste

18 oct. 2012

changer la vie



Le président de la République en a décidé ainsi : chaque jeune Français recevra à sa majorité une machine à café de marque « Nespresso ». Cet investissement massif de la Nation a des objectifs multiples. Il permettra de relancer notre industrie en faisant fabriquer par AREVA ces sortes de petites centrales nucléaires portatives. Il dynamisera la filière du luxe, qui est, comme chacun sait, un des fers de lance de notre économie : création par nos meilleurs designers de jolies capsules, elles-même enveloppées dans des sachets d’une esthétique raffinée, eux-même disposés dans de superbes boites analogues à celles de la haute parfumerie ou des cosmétiques de madame Bettancourt. Enfin et surtout, cet investissement aura une portée pédagogique essentielle en montrant à chaque futur citoyen que pour être moderne il suffit d’effleurer du doigt un petit bouton lumineux. Que les amis se rencontrent sur Internet et non autour d’une cafetière. Et que, pour le reste, c’est chacun pour soi, chacun sa dose.

=> sujet [mécanisation] / message précédent : mariage mécanique

17 oct. 2012

pantin normalisé

dessin A.S.

A la sagesse discrète de l’être libre qui choisit ses maîtres et ses modèles répond l’excentricité superficielle du pantin qui suit les fils du système et des normes. Mais comment et pourquoi les êtres humains sont-ils devenus des pantins ? Rappelons qu'après la Seconde Guerre mondiale la norme s’est généralisée dans le but d’augmenter la production industrielle. Au-delà d’un calibrage commun (l'historique standard), il s’agissait surtout de pallier aux manques d’effectifs dans l’industrie en remplaçant "l’ouvrier qualifié" par "l’ouvrier spécialisé" : l’artisan, que le client pouvait juger en regardant ses ouvrages, a été remplacé par une "main d’œuvre" formée à la va-vite, sans qualité, interchangeable. Constatant l’efficacité de ce modèle, la société de consommation en a déduit qu’il fallait considérer l’individu comme stupide, qu’il soit producteur ou acheteur. Il fallait donc le protéger en systématisant les normes. Début de notre contre-histoire.

Aujourd’hui, recouverts par d'innombrables normes, même les décideurs s'assimilent à des pantins décérébrés - architecte, médecin, juriste, enseignant, ingénieur, politicien, designer – car ils ne sont que des "agents" baladés pour fabriquer et acheter des produits normalisés d'après les canons contemporains, filoguidés vers le char d'assaut de l'innovation : l’architecte doit suivre la circulaire-truc et la norme ISO-machin pour que son bâtiment soit normalement solide, normalement isolé, tout en répondant normalement aux besoins de l’usager normal… Inutile de chercher du côté du style, d’une influence ou d’un talent pour identifier une construction contemporaine, inutile aussi de s’illusionner en croyant trouver des rinceaux, des coquilles ou des médaillons car nous ne sommes plus à la Renaissance ! Que non ! Pour "identifier" un bâtiment actuel, il faut observer les normes : "nous pouvons voir que cet édifice a été construit après 2007 car c’est un B.B.C. type E.R.P. doté d’accès P.M.R. ", voilà tout ce que pourra dire le guide touristique face au patrimoine des années 1980 à 2020, " car, dans ce temps-là, les modèles se réduisaient à des normes internationales imposées par la loi".

L’architecte-pantin se soumet car les normes revendiquent l’idée de condition universelle. Elles colonisent le monde en conjuguant les doctrines positivistes aux intérêts financiers pour réinventer les usages. Sous couvert de bien-être, elles imposent les a priori modernes d’isolement et de sécurité, elles combattent l’extérieur, la différence, les catastrophes, les maladresses, les fragilités... Mais la morale écologique perturbe depuis peu la certitude normative car elle se veut "durable" et "tolérante", il va donc falloir penser à s'adapter, tout en ralentissant la course. Bientôt, le paroxysme des normes sera derrière nous car le produit global-normal-éphémère-énergivore devra muter vers le local-spécifique-durable-économique. Aujourd’hui, les normalisateurs pensent s’en sortir en se cachant sous la flexibilité et la bonne conscience du green design mais le paradoxe va finir par tout emporter : l’homme intelligent va refaire surface, pantin goûtant avec bonheur la liberté de bouger sans fil, de choisir ses modèles, de vivre sa condition d'être de chair et de sang.

=> sujet [modèle] / message précédent : modèle (déf.)

13 oct. 2012

modèle (déf.)

dessin A.S.

Modèle -. L’architecture vernaculaire sait être simple sans être pure, être subtile sans être incompréhensible. Son but est de perfectionner une forme en tirant parti des contraintes nouvelles. Si on la trouve simple, c’est que l’on connait déjà une partie de ses clefs : elle rend hommage à un modèle reconnu, non par sa réutilisation telle quelle à un autre endroit mais par une attitude générale où l’échelle humaine est rappelée à chaque occasion (menuiserie, couverture, maçonnerie, etc…), où le travail manuel est le reflet de notre condition et - à ce titre - visible, intelligible et maîtrisé. Chaque modification d’une forme garde à ses côtés une forme connue servant à la fois de contrepoint et d’ambassadeur.

La création en hommage à un modèle est l’un des points qui différencient les constructions vernaculaires des constructions actuelles. Il ne s’agit pas d’une modélisation faite une fois pour toutes et valable automatiquement dans n’importe quelle situation ; C’est plutôt une référence qui a interprété un lieu élégamment, et dans laquelle le propriétaire se reconnaît autant que l’architecte. Une référence qui a suscité suffisamment d’admiration pour créer une sorte d’univers symbolique qui habitera la construction vernaculaire. C’est notre rapport au modèle, à ses multiples aspects, qui fait du projet un corps, à la fois spécifique et différent (comme nous le sommes tous : maître d’ouvrage, maître d’œuvre, lieu) mais aussi en parenté (avec ceux qui ont choisi le même modèle).

Ce sont ces parentés qui créent une culture commune. Des traditions qui, jusque-là, ont pu traverser et relier les siècles et parfois les aires géographiques. Si le modèle de chacun est un Ovni industriel, cela devient une culture sans passé et sans lien symbolique avec notre humanité. Sans passé, même réinventé à chaque génération, quel sens peut-on trouver à notre existence ? S’il s’agit simplement de survivre, se nourrir, dormir, pourquoi continuer ? L’intérêt de continuer vient du sentiment d’être le maillon indispensable dans une chaîne de transmission. La forme et la solidité de notre maillon est de notre ressort. La partie visible de l’architecture contemporaine ressemble à un amoncellement de triplettes de maillons flottants, inévitablement destinés à la déchèterie…

=> sujet [modèle] / message précédent : intelligible (déf.)

10 oct. 2012

musée-monument

dessin A.S.

Les musées s’emploient souvent aujourd’hui à optimiser les flux de ceux qui les parcourent : il faut éviter les sièges qui pourraient les ralentir, les vues sur l’extérieur qui pourraient les distraire. Le but de ceux qui les managent est visiblement de faire du chiffre, pas de la poésie. Mille, cent mille, un million de visiteurs, c’est une manne pour le commerce et l’industrie touristique. Et n’allez pas critiquer puisque c’est pour une noble cause ! On peut voir dans ces musées des œuvres parfois superbes, mais les gens qui s’y rendent à la queue leu leu y sont passablement ridiculisés. Venir de Chine ou d’Amérique pour défiler devant de grandes ou de petites Vénus de Milo, un audio-guide à l’oreille et un appareil photo à bout de bras, a quelque chose de piteux . Et puis, par rapport aux torses de marbre et aux belles épaules des statues antiques, les anatomies chétives ou les gros ventres de leurs successeurs, en jean diésel ou simili, ne sont guère mis en valeur.

Comment seront les musées vernaculaires de demain ? Enracinés dans une histoire, dans un territoire ? Y en a-t-il déjà dont on puisse s’inspirer ? De passage à Paris, je suis allé l’autre jour au musée des Arts et Métiers. On peut y voir l’avion de Blériot, avec lequel il a traversé la manche en 1908, suspendu avec deux autres aéroplanes de la même époque dans la nef de l’ancienne église de Saint-Martin-des-Champs. Cette nef se termine par une abside, entourée de chapelles rayonnantes, qui inaugure (on est au tout début du douzième siècle) l’architecture gothique avec ses voûtes sur croisées d’ogives et ses grandes verrières. Témoignages croisés d’une révolution architecturale qui va engendrer toutes nos grandes cathédrales, et d’une révolution technique (le moteur à explosion) qui va permettre l’émergence puis le développement exponentiel du transport aérien et automobile, cette église-musée est un lieu qui oblige à la réflexion.

Qu’est ce qui est art et qu’est ce qui est technique dans notre aventure humaine ? Son aménagement avec une rampe dissymétrique en structure métallique qui permet de monter jusqu’au dessus des avions en admirant quelques machines et objets d’il y a cent ans, met joliment en scène les visiteurs qui s’y aventurent et qui découvrent les autres d’en haut. Nietzsche dit quelque part qu’il faudrait construire des lieux pour penser. En voilà un bel exemple. Les musées vernaculaires ne seront pas des machines à regarder, ou des dispositifs conçus pour gérer des flux de touristes désœuvrés, mais des lieux poétiques, propices à la méditation et à la rêverie. Des lieux où l’on se sentira soi-même acteur de la grande et un peu terrifiante aventure qui nous projette, sans nous demander notre avis, dans un espace et une histoire dont nous avons maintenant la charge.

8 oct. 2012

mariage mécanique

 

d'après wired


La prise de pouvoir de l’industrie sur les mentalités a un peu plus d’un demi-siècle. C’est une épopée qui a son histoire et ses historiens, ses complices - comme Siegfried Giedion ou Le Corbusier - mais aussi ses détracteurs comme Marshall McLuhan ou Lewis Mumford. Moins connus en France, les deux derniers furent rangés dans le camp des perdants ; victimes collatérales du Maccarthysme, leur critique de la mécanisation ne se réduit pourtant pas au marxisme ou au relativisme politico-culturel. Ils cherchaient surtout la place de l’humain ! Ainsi, Mumford s’inquiète pour les femmes que l’on condamne à vivre seules dans leur pavillon alors que les hommes passent leur temps libre à tondre des pelouses… Tout aussi compatissant, McLuhan plaint les riches qui poursuivent le mérite calviniste sans avoir le temps de penser et de se cultiver, subissant sans le moindre recul le tourbillon de la vitesse et de la consommation – relégués au même rang que les petites gens. Le mariage mécanique est aujourd’hui global. Nous voilà tous dans cette prison où seuls les fanatiques et les paranoïaques imaginent encore des gardiens et un directeur, des murs et un dehors.

Auteur de la Mariée mécanique, traduit et édité cette année seulement en français (paru le 14 septembre au éditions e®e), McLuhan comprend dès 1951 que la machine va finir par former un réseau total et que nos imaginaires se calqueront à la morphologie de ce réseau : dictature de l’instantanéité et de l’ubiquité dans une composition abstraite. Il décrit une œuvre moderne où le collage écrase par son universalité le sens de chaque fragment… L’art se réduit au montage car l’importance est dans le réseau plus que dans le "contenu" (individu que l’on jugera réel ou imaginaire, c’est sans importance).

Mais nous découvrons enfin que la disparition des individus dans une bouillie particulaire représente la mort du réseau, la fin des dinosaures ! Pour survivre, le réseau a aujourd'hui besoin d'individualités (pas des stars normalisées), de diversité (qui n’est pas seulement variété) et de formes (non uniquement abstraites). De l'intelligible, du reconnaissable. Il faut donc détourner, superposer, accumuler nos modèles, vivre dans le réseau global pour y redessiner ingénieusement un corps local. Songeons à un art contemporain où le paysage se reconstruit autour de la qualité vernaculaire des détails. Oublions l’héritage surréaliste qui consistait à coller absurdement un corps décapité, guerre-14/18-isé, fragmenté jusqu’au méconnaissable (comme les articles d’un journal), songeons plutôt à la réelle nouveauté d’internet : la capacité de recréer des liens dans une hypermnésie globale… Le retour du vernaculaire ne se fera pas en continuant de séparer des particules élémentaires identiques, en gluant des articles au hasard pour faire un journal  mais en reliant des objets partiellement compréhensibles, en partant d’un récit "local" pour que les éléments s’enchainent, s’entraînent. et forment les topos du réel : vaste, complexe, inaccessible, merveilleux.

=> sujet [mécanisation] / message précédent : machine humaniste

2 oct. 2012

intelligible (déf.)

dessin A.S.


Intelligible -. "C’est par la splendeur du vrai que l’édifice atteint à la beauté. Le vrai est dans tout ce qui à l’honneur et la peine de porter ou de protéger. Ce vrai, c’est la proportion qui le fera resplendir, et la proportion c’est l’homme même".

Cet aphorisme d'Auguste Perret nous replonge dans le De Architectura et ses interprétations célèbres depuis l'Homme de Vitruve par Vinci jusqu'au Modulor de Le Corbusier. Chacun semble y admirer un corps viril mesurant 1 mètre 83 que l'on va dessiner dans des proportions à admettre comme des vérités universelles. Virilité et vérité sont difficiles à admettre aujourd'hui... Et pourtant nous "sentons" qu'il faut en retenir quelque chose, par-delà les limites du subjectif, par-delà ces icônes. Pour assimiler la logiques des Anciens, il faut remplacer certains mots, disons "homme" par corps et "vrai" par valeur - alors nous pouvons échapper à certains réflexes et approcher un modèle plus relativiste : celui de l'intelligibilité. En effet, l'intelligible ne sépare pas, n'impose pas une logique conquérante et masculine, il est tolérant et sans a priori.

Détournons Perret : C'est par l'intelligibilité que l'édifice peut atteindre la beauté. L'intelligible est une valeur qui est perçue dans tout ce qui porte, protège et relie. C'est une relation que chacun peut retrouver en soi avec l'autre, et cette relation-en-soi c'est le corps même.

Cependant, l'architecture ne peut pas régresser vers un supposé "tronc", ni un corps "parfait", ni même un plus grand dénominateur commun. La magie, l'intelligence, la convivialité, c'est de comprendre, de saisir, et d'étendre ce que l'on ressent. D'établir un lien : des "fruits" naissent dans une relation complice avec le corps. Il se dégage une rencontre avec l'autre, bonheur d'approcher certaines formes du corps dans un détail qui révèle son intégralité : main, torse, fesses, sexe, pied, épaule, nuque, cuisse, chevelure, avec les échanges que supposent la mise en intelligence d'êtres différents. Songeons enfin que le corps ne se limite pas forcément à une proportion naturelle, il reste compréhensible même s'il est mutilé ou prolongé. C'est là que l'outil peut entrer en jeu, dans la mesure où il se limite à une mécanique dont le fonctionnement reste "intelligible" : la white box*.

=> sujet [modèle] / message précédent : art d'édifier

29 sept. 2012

dinosaur corporat°

dessin A.S.

Quand les dinosaures occupaient la planète, il y a plus de soixante millions d’années, de petits mammifères, nos lointains ancêtres, vivaient à leurs pieds dans des terriers qu’ils avaient creusés pour se protéger de ces monstrueux voisins. Le palais des expositions de Perpignan, grosse silhouette pataude qui ne tient aucun compte du paysage urbain qui l’environne est une sorte de dinosaure architectural : beaucoup de matière, peu de réflexion et encore moins de subtilité. Aux pieds de ses grands arcs se tenait l’autre week end, le « Forum des associations ».

Alors que l’architecture du « palais » ne dialogue avec rien, les petits homo sapiens présents à ce Forum étaient tout occupés à coopérer. Les « auxiliaires des aveugles et mal voyants » discutaient avec les responsables des « mandolines du Roussillon » qui présentaient toute une gamme de leurs instruments. « Les petits frères des pauvres » côtoyaient les promoteurs de la « gay pride perpignanaise ». On pouvait admirer une pyramide monumentale de fruits et de légumes bios, se faire maquiller (si l’on était un enfant) par l’amicale du quartier de Saint Asiscle, ou comparer les photos des cuirassés en mer de l’association « des anciens marins ou marins anciens combattants » à celles des superbes fleurs de « l’amicale des orchidophiles du Languedoc Roussillon ».

Les germes des villes vernaculaires sont-ils là, dans cette vie associative qui travaille secrètement les agglomérations d’aujourd’hui ? La petite foule qui parcourait ce « Forum » va-t-elle se mettre à l’œuvre avec du bois, de la chaux, des brouettes… pour édifier enfin un cadre de vie qui lui ressemble ? Les retraités, qui sont nombreux à s’investir dans le travail associatif vont-ils rajeunir et s’affirmer plus vigoureusement face aux dinosaures de l’industrie mondialisée ? Monsieur Charles Darwin que j’ai interrogé à ce sujet m’a répondu « It’s a good question. »

25 sept. 2012

progrès humaniste

dessin E.S.

Les Français sont fiers de leur gastronomie, de leurs innombrables fromages, de leurs vins délicieux. Ils sont également fiers de leurs cathédrales, palais et villes historiques, mais contrairement aux vins et aux fromages, ils n’ont pas l’idée de continuer à en produire de semblables et se contentent de « classer » ceux qui subsistent. De ce fait, les savoirs faire artistiques et techniques qui ont permis de constituer ce patrimoine bâti se perdent. C’est un peu comme si l’on écrivait des thèses sur le vin de Bordeaux ou le crottin de Chavignol, qu’on photographiait ces denrées sous toutes les coutures, qu’on les mettait au musée, mais que personne ne se souciait d’en produire ni d’en consommer de nouveau.

Quand on pénètre dans l’atelier de Serge Ivorra à Pézenas, et dans « le musée de la porte » qu’il a aménagé à proximité, tout change. Les savoirs faire des anciens menuisiers et charpentiers sont admirés et imités par les trois ouvriers hautement qualifiés et les six apprentis qui composent, avec Mario, le frère de Serge, le staff de la SARL. Une des vingt deux entreprises de menuiserie françaises agrées par les monuments historiques. Fines lèvres très rouges, cheveux grisonnants et bouclés, grands yeux intelligents, démarche souple d’un habitué des échafaudages, Serge fait visiter son atelier musée comme un maitre artisan du Moyen Age, les splendeurs de sa cathédrale. Fréquentant les décharges et chantiers de démolition, il récupère pour ses collections, des portes, des fenêtres, des pièces de serrurerie ancienne. Ils observe les essences de bois qui les constituent : noyer, peuplier, cyprès, robinier… et la façon dont ces menuiseries sont composées avec des assemblages à la fois simple et précis qui permettent de les démonter et de les remonter. Fils et petit fils de maçon, ayant suivi la formation des « compagnons » pendant sept ans, Serge est un homme de progrès. Il pense que nos menuiseries industrielles sont une régression et un danger. « En cas d’incendie, le bois résiste mieux que le plastique qui dégage des gaz très toxiques analogues au « gaz moutarde » utilisé pendant la première Guerre Mondiale. »

Ses apprentis, garçons et filles, l’entourent, l’écoutent, prennent goût avec lui au travail bien fait, à l’intelligence de la main tout en restaurant les menuiseries de l’hôtel Dieu de Marseille ou la porte du cimetière du Père Lachaise à Paris. L’ambiance est calme, détendue. Un des ouvriers, qui a réalisé son chef d’œuvre de compagnon à l’atelier, reprendra l’entreprise quand les frères Ivorra partiront en retraite. En sortant de là, je me suis dit que le progrès ne consiste pas à troquer le vin de Bourgogne pour du « coca zéro », ni la main de l’homme pour des machines à commandes numériques. Que le seul progrès qui vaille est celui de l’humanité en marche. Une humanité qui se doit de « construire » des individus solides, intelligents, inventifs et désireux de coopérer les uns avec les autres.

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18 sept. 2012

progrès industriel

dessin A.S.

Statistiquement, l'homme suit une évolution positive que l'on mesure dans l'innovation technique, l'inventivité artistique, la hausse de la scolarisation ou encore la baisse de la mortalité. Grâce à ce "progrès matériel", nous travaillons physiquement moins et nous vivons techniquement plus longtemps. Cependant, on doit se poser quelques questions plus en profondeur : nos outils et équipements nous aident-ils vraiment ? L'art est-il encore en relation avec la beauté ? L'école nous apprend-elle à mieux vivre en société ? Notre travail est-il agréable ? Qu'offrons-nous à l'avenir, à nos enfants ? Finalement, sommes-nous satisfaits ou, plus exactement, heureux ? Lentement, de questions en questions, l'affirmation du progrès s'étiole quand nous nous approchons les domaines insaisissables de la beauté, du bonheur, de l'accomplissement…

Notre bonheur augmente-t'il ? Difficile de répondre dans un domaine "métaphysique" ; on peut cependant noter certains symptômes, moments où le regard s’emplit de satisfaction, dans un bonheur quotidien marqué par le sourire et le chantonnement. Arrive alors le plus terrible des constats : les gens ne chantent plus, ne sifflent plus, ni sur leur travail, ni dans leur maison. Bientôt, on internera celui qui siffle encore. Mais les vieux se souviendront que le chant et le sifflotement étaient partout il y a encore une cinquantaine d’années, en cuisine, à la maison, chez le commerçant, à l’atelier, sur le chantier, dans la rue.  Pourquoi ? Tout simplement parce que nous nous contentons désormais d’écouter des sons fabriqués industriellement, la musique se trouvant enfermée dans des objets-médias et des évènements-concerts. Notre plaisir se limite à regarder celui d'individus fabriqués synthétiquement à échelle industrielle - l'industrie de la musique, de l'image. La chose insaisissable qu'était le chant a ainsi été transformée en biens commercialisables où le progrès industriel peut être mesuré : phonographe, radio, pick-up, magnétophone, walkman, MP3, 4, etc.

Le progrès industriel est inhumain car il détruit la beauté et le bonheur en les matérialisant ; anthropophage, aussi, car il demande toujours plus de ruse, de temps et d'énergie pour comprendre, fabriquer et se payer l'objet d'un plaisir individuel imitant le bonheur en société. Il en est de même avec la plupart des plaisirs conviviaux tournant autour de gestes simples et quotidiens : manger, travailler, parler, s'éduquer, marcher, aimer, et - bien entendu - construire et habiter. Distribués en tant que marchandises, les bonheurs individualistes et inanimés de la "consommation", de la "culture", des "loisirs" progressent en dévorant la vie humaine, faite d'action, de partage et de curiosité. Là doit se situer un autre progrès...

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13 sept. 2012

le salut de corbu

Voici une alerte envoyée par H.L. pour signaler que l'architecture du Mouvement moderne est elle-même victime des doctrines amnésiques contemporaines et de la laideur ordinaire de nos promoteurs :

En passant devant l'armée du salut, je me suis pris à faire le tour du chantier en cours, puis à essayer d'en savoir plus sur le projet (François Chatillon, Architecte en Chef des Monuments Historiques, est supposé en assurer la caution patrimoniale). A l'intérieur du bâtiment de Corbu, au premier abord, pas de vrai diagnostic / archéologie du bâti des éléments originaux en place, et un programme de mise aux normes brutale avec un budget trop restreint pour un bâtiment de cette importance. Passons.

Mais le plus inquiétant porte sur l'annexe de Candilis, conçue et construite en 75-78, non protégée. Le mur rideau est purement et simplement remplacé par une façade de type promotion immobilière (voir photo du chantier et du panneau de chantier)... Comment un ACMH a-t-il pu accepter de co-signer un tel projet ? Comment l'ABF a-t-il pu donner son accord à ce projet directement attenant à un bâtiment inscrit, dont il constitue l'extension ? Comment la ville peut-t-elle se vanter de suventionner un projet dont la commission du vieux Paris a demandé à au moins deux reprises de revoir l'esprit (voeux en PJ) ? Comment la fondation le Corbusier, qui est entrée dans des guerres pichrocolines à propos du finalement bien inoffensif projet de Renzo Piano à Ronchamp peut-elle se satisfaire du sort donné à une oeuvre-hommage d'un des plus fidèles fils spirituel du "maître" ? A ma connaissance, Docomomo ne s'est pas saisi du sujet ? Restera-t-il bientôt un bâtiment de Candilis en France qui ne soit pas démoli ou dénaturé ?

Ne faudrait-il pas faire quelque chose ? Mais peut-être certains de vous en savent-ils plus que moi sur ce projet qui n'a finalement fait que bien peu parler de lui ? N'hésitez pas à diffuser l'information.

11 sept. 2012

rues vivantes

Driss place Salengro, dessin A.S.

Architecte, urbaniste et grand amateur de jardins, Nicolas Soulier est un militant têtu et modeste des villes vernaculaires. Pendant trente ans il va observer avec attention les rues des agglomérations urbaines en France et dans nombre d’autres pays pour comprendre ce qui peut les rendre conviviales et agréables à parcourir, ou à rebours, anonymes et glaçantes. Fort de cette longue enquête et de son travail d’urbaniste de terrain, il fait un certain nombre de propositions pour éliminer les processus de "stérilisation" qui peuvent être le fait de règlements d’urbanisme ou de copropriété, mais aussi de la place excessive accordée aux voitures – "nous sommes chez elles, pas chez nous" – et il plaide pour promouvoir en retour des processus de "fertilisation" qui suscitent les initiatives et interventions des riverains. Il propose de passer du code de la route au "code de la rue", en limitant les vitesses à trente kilomètre heure, en encourageant l’usage du vélo, et en incitant les habitants à s’approprier et à aménager les "frontages". C’est ainsi qu’il désigne l’interface entre l’espace public et l’espace privée de l’habitation.

Il pense que la ville est vivante et qu’il faut apprendre à la cultiver en gérant les conflits d’usage entre ses habitants comme le jardinier les conflits possibles entre les différentes espèces qu’il a planté. Reconquérir les rues*, le livre, très illustré, qu’il a tiré de ses observations et expériences, est tout à la fois simple et lumineux. Si l’on veut que nos tristes urbanisations deviennent plus vivables, Il faut faire en sorte qu’il soit consulté de toute urgence par les architectes, les étudiants en architecture, mais aussi par les responsables des politiques urbaines, les aménageurs, les promoteurs…

7 sept. 2012

happy bungalow

dessin A.S.

Les contreforts des Pyrénées tombent abruptement dans la mer. Une crique couronnée de pins. L’eau est limpide, le ciel est bleu. Les baigneuses ont volontiers les seins nus. Leurs compagnons font gentiment la vaisselle dans les bassines en plastique référencées sur l’état des lieux de chaque bungalow. Un restaurant est agréablement aménagé en hémicycle autour d’une place, de quelques arbres et d’une estrade où j’ai dessiné hier soir Jordan et Henri venus de la lointaine Germanie nous jouer un air de jazz. Ils ont été suivis par un trisomique et sa famille qui ont poussé joyeusement leur petite romance. On entend parler polonais, espagnol, français, allemand… Les tentes utilisent des textiles innovants et des montants cintrés en fibres de carbone. Grosses voitures, caravanes impressionnantes, parasols made in Brazil, serviettes et maillots : l’économie est mondialisée. Les toilettes et douches sont propres. Pas d’incivilités à l’horizon, ni de chiens, ni de SDF. Les gérants du camping de Pola, près de Tossa de Mar, qui peut accueillir jusqu’à mille cinq cent personnes, veillent sur la tenue et la sécurité de leur instrument de travail. Un unijambiste sort de l’eau et rejoint, à cloche pied, sa fille de six ans. Un couple de vieux homosexuels se tient par la main.

On peut être comme on veut ici, à condition d’être sympa, ni trop riche, ni trop pauvre. Des gamins se faufilent en riant derrière des bouées de couleur. Le soir, les petites lucioles des tentes et bungalows illuminent de-ci, de-là, la sombre pinède sous le ciel étoilé. Bizarrement la promiscuité, qui est souvent mal vécue en temps ordinaire, est tolérée, voir recherchée. Des familles prennent leur repas au milieu d’une foule de gens et de voitures comme s’ils étaient sur une île déserte. On se passe d’eau courante, mais pas des instruments de la mobilité : véhicules, téléphones portables, bateaux gonflables, meubles pliables. C’est un remake du paradis des origines, pas romantique, ni vernaculaire, mais pratique et bien réel. Une façon d’investir un territoire tout en étant mobile, européen, et plutôt fraternel. Dans cette société sans classe (sinon la classe moyenne) on ne veut pas être plus chic que le voisin et la beauté, du coup, n’intéresse personne. La spiritualité non plus. Il n’y a ni chapelle ni lieu de prière. Le péché originel et la colère de Dieu sont de l’histoire ancienne.

5 sept. 2012

open communities

dessin A.S.


Souvenons-nous. Il y a deux mille ans, des hippies anarchistes arrivaient dans l’empire de Rome, voulant réduire le nombre de dieux à un, prétendant l’égalité, invoquant la multiplication des pains... Ils dirigeaient leurs pas vers les pauvres, les marginaux, les lépreux, les esclaves… Il y a quelque chose de cet ordre dans le voyage initiatique passionnant intitulé Sur les sentiers de l’utopie (édition Zones, 2011) d’Isabelle Fremeaux et de John Jordan, deux altermondialistes impliqués dans les camps climats. Le challenge est encore plus grand qu’en l’an zéro car il s’agit de se passer totalement d’une divinité et d’invoquer l’Anarchisme. Sur ce point s'ouvre une troisième piste pour nos villes vernaculaires : après l'habitat pré-industriel, les bidonvilles péri-industriels, arrive le do-it-yourself post-industriel... Très loin d'une balade en vélo dans Boboville ou du conseil en placement financier dans un écoquartier branché, il s’agit d’un carnet de route improbable, écrit et filmé dans une fourgonnette pendant un tour d’Europe reliant des lieux alternatifs sans religion ni gourou : les vieilles communautés hippies et les jeunes squats anarcho-punks, les premières fermes écolos autogérées et les derniers villages anars espagnols… Que sont-ils donc devenus ?

Ce livre-dvd est donc à lire impérativement pour le savoir. Nous y découvrons des expériences collectives qui ont parfois du recul et nous y voyons un style de vie construit comme l'exact-opposé du modèle capitaliste-consumériste, open communities vs. gated communities : ni dieu, ni maître, ni barrière, ni confort, ni sécurité, ni argent, ni conso, ni etc. On lâche du lest. Les auteur-e-s parviennent très bien à construire un fil conducteur dans leur étrange structure libertaire, montrant des méthodes pour décider et inventer une politique que nous découvrons "vernaculaire". Ils indiquent aussi certaines limites et finissent sur un appel vers un "Bauhaus pour le XXIe siècle". Merci pour ce souffle, les amis, c'est une excellente piste car il faut autant que possible mettre la lutte de côté et inventer-montrer la beauté, le bonheur, l'accomplissement... Multiplions les archipels ! L’architecture est peu abordée mais le texte insiste sur le D.I.Y. en tant qu'empirisme : on tente, on manque, on rate, on imite, on recommence, on se renseigne, on bricole, on s’accommode… Bien entendu, on n'y trouvera pas une ligne de conduite ou un récit d’architecture mais plutôt des aventures singulières qui tournent autour de hangars ruraux, dômes géodésiques, yourtes, baraques bricolées, cabanes forestières et maisons abandonnées. La construction s’arrête en général à des clous, des cordes et des empilements. La décoration se limite aux sculptures primitivistes, aux tags et aux affiches "style 68" sur fond de fockof, vivazapata et autres zobvolants... Tout un horizon culturel ! Mais n'en rions pas car ces rebelles sont bien moins ridicules que les victimes des gourous publicistes.

3 sept. 2012

racines et flux

L’univers des flux contemporains n'admet plus la moindre profondeur. Quand la vieille notion de racine est évoquée, c’est pour hurler contre un monstre conservateur, paternaliste, pour ne pas dire une doctrine nazi. Pourtant, tout à l’opposé, un autre cliché politique s'impose en résumant le monde des flux à la tyrannie d’un modèle ultralibéral et individualiste. A l’évidence, ces totalitarismes s’identifient dans une opposition terme-à-terme mais aujourd'hui nous subissons uniquement la dictature des flux globaux, où il n’est plus possible de poser les pieds sur terre, insensé de transmettre la moindre chose, inenvisageable de s’imprégner de l’endroit où nous vivons. Tout est réduit et normalisé pour circuler à travers le monde : chaque objet, chaque pensée, chaque individu peut parcourir le globe librement car les désirs et les modes de vie sont identiques et imposés à échelle globale. Notre logement devient un container sur gazon, notre langage est l’anglais, notre travail se résume à tapoter sur un clavier. La seule racine qui correspondrait à cette situation serait le stolon qui bondit, puise sa pitance là où il tombe, et rebondit aussitôt.

Faut-il donc faire l’autruche en plongeant la tête dans le sol pour y trouver une vraie racine ? Pas seulement, car nous risquons l’excès inverse d’une fausse-bonne-idée supposant qu'une chose serait vraie dans une authenticité mesurable à la profondeur de ses origines. Il n’est pas exagéré d’avoir peur car cette lourde doctrine s'inscrit déjà dans les normes paysagères, à l’intérieur des chartes environnementales émises par des administrations internationales - Europe ou Unesco… Elle s'applique déjà dans le règne végétal, en phytosociologie : un purisme des essences via des "habitats naturels" produits par les sols et les climats. Aujourd’hui, si une plante veut survivre à l’arrivée des paysagistes nouvellement formés, elle doit prouver que sa sève est pure, démontrer que sa présence sur ce sol est légitime et que ses racines s'enfoncent bien dans les profondeurs insondables du passé.

Fait étrange, la racine-pivot est une exception dans la nature, s’adaptant surtout à un sol fin, sableux voire mouvant ; à l’inverse, pour le jardinier, le stolon est une plaie, la diffusion non-maîtrisable d’une plante invasive apparaissant souvent sur des sols dégradés, pauvres ou instables. Flux-stolon ou racine-pivot sont finalement deux excès que nous pouvons comprendre comme les adaptations à notre monde en mouvement, instable et culturellement appauvri. La beauté véritable des racines, ni superficielles, ni ancrées sur un seul axe, nous la retrouverons après ces crises et ces illusions (moderne ou anti-modernes), quand le monde renouera avec lui-même, quand l’humain aura retrouvé sa place en son sein.

29 août 2012

moderne cardinal

Ce matin même, sur France Culture, les suites d’une dépêche AFP tombée hier : Pierre Cardin défend son projet à Venise. C’est le dernier Ovni du moment qui va atterrir sur la terre avec un coût exorbitant . Pierre Cardin parle de "Palais lumière", "ville verticale", "sculpture habitable", puis il ajoute : "Je veux offrir à Venise un grand jardin pour l'éternité. Je suis écologiste, le vert est ma couleur." Tant mieux, là nous ne pouvons qu’approuver, mais la modernité et l’écologie est-ce encore du Corbu Dubaïen ?

S’il est effectivement possible que la ville de demain soit verticale, faite de plateaux qui démultiplieront les surfaces utiles tout en limitant l’impact au sol, cette modernité ne s’imposera pas dans une tradition colonisatrice. L’écologie sera certainement économique et son coût au mètre carré plus proche de 100 que de 10.000$, alors imaginons plutôt ce que l’on peut bâtir à faible coût (et faible impact) avec 2 milliards : construisons une cité d’un demi-million d’habitants, pourquoi pas une ville flottante destinée à reloger la population de la ville - sans énergie grise. Là, ce serait utile, pour ce vieux souvenir urbain que pourrons visiter les futurs touristes, s’ils sont amateurs de plongée sous-marine. J’invite M. Cardin à y réfléchir, si ses propos sont honnêtes.

Plus dramatique, le défenseur du projet convoqué sur France Culture nous affirme que la Modernité est née à Venise, que la ville devrait donc défendre ce projet. La confusion règne. S’il faut considérer la modernité de Venise comme l’invention d’un mode de vie ou d’une architecture qui a influencé tout l’Occident, impossible de voir le lien avec la construction d’une nouvelle tour éconovore. La Renaissance italienne, avec un peu de culture, nous en percevons effectivement les traces partout autour de nous mais nous pouvons être certains que cette super-tour-évènement ne va jamais impacter le quotidien de quiconque à l’avenir ! Définissons donc une modernité cardinale.

28 août 2012

ovni (déf.)

dessin A.S.


Ovni -. Objet voyant non-identifié, opposé à vernaculaire. Si vous regardez autour de vous, vous constaterez la multiplication des Ovnis, de ces objets singuliers et non-identifiés car il est impossible pour l'autochtone d’en connaitre l’usage. En architecture, l’Ovni peut servir de théâtre, musée, habitation, médiathèque, salle de sport, entreprise… Contrairement à son discret cousin venu de l’espace, il doit impérativement être vu et son existence est incontestable – même s’il partage avec ce dernier la brièveté de son apparition et la qualité de n’avoir aucun point commun avec l’endroit où il se pose. Il est d’autant plus mystérieux qu’il est né dans l’intelligence inaccessible du "starchitecte",   ainsi nommé car son métier consiste à maintenir les liens entre la jetset et les sphères étoilées.

Les Ovnis ont leur propre histoire. La première génération adoptait simplement une forme phallique (les starchitectes du moment étant certainement de sexe mâle) puis elle s’est complexifiée en laissant croître des appendices de forme plus arrondie mais toujours d’une géométrie sans faille. Les derniers Ovnis observés semblent avoir des profils plus souples, ventrus et percés de trous organiques (laissant penser que le sexe femelle vient de faire son apparition). Ils s’assimilent désormais à du gruyère plus ou moins fondu. Nous attendons surtout avec impatience l’arrivée des bébés. A quand, le petit Golmolk ?

25 août 2012

vernaculaire (déf.)

dessin A.S.

Vernaculaire -. Attachement à un "pays", à un "site", proche de local, indigène, pittoresque, régionaliste, rustique, autochtone, traditionaliste, pauvre, domestique, commun, archaïque, grégaire… Dans English Vernacular Houses, en 1975, Eric Mercer va le définir ainsi : "Les bâtiments vernaculaires sont ceux qui appartiennent à un type communément répandu dans une zone donnée à une époque donnée". Mais cette définition paysagère et historique se trouve limitée au passé, et implicitement opposé au contemporain. Il faut une définition plus philosophique et prospective où s'expriment les notions de matières et de moyens de subsistances locaux (communaux*), de morales et de styles de vie indigènes (convivialité**). Proposons, par exemple : "lieu d'activité imaginé et élaboré à partir des communaux pour renforcer les liens conviviaux".

Un bâtiment vernaculaire s'exprimera donc dans des matières localement abondantes (matériau, énergie, main d’œuvre, culture, savoir-faire, "style", etc.) et optimise la qualité du site à travers une activité conviviale (allant de la construction à l'usage). C'est ainsi que le terme "vernaculaire" se situe hors des principes dictés par le Mouvement moderne et peut indirectement s'y opposer (en limitant l'automatisation, le transport, les logiques universelles). Il intègre implicitement certaines morales anciennes (beauté, bonheur) et contemporaines (écologie, diversité).

24 août 2012

pureté esthétique

Revenons à Campo Baeza (cf. v.m.lampugnani), ce parfait exemple de l’académisme actuel assez puritain (blancheur, géométrie parfaite, lavé de tout ornement, et de toute échelle humaine, et tourné sur lui-même) mais très photogénique. Il n’est qu’une preuve supplémentaire que les classes dirigeantes ont besoin d’académismes à suivre. Et c’est le succès de Baeza qui est agaçant plus que son œuvre. Je n’ai, il est vrai, jamais visité ses architectures, mais en revanche j’ai vu une maison de Loos, et j’ai pu constater que chaque pièce y était un bijou de savoir-faire artisanal (marqueteries de marbres, menuiseries savantes, plâtres délicats, fauteuils veloutés). Une continuation du luxe traditionnel par des moyens géométriques plus délibérément lisses. Par les dessins que j’avais vus auparavant, je n’avais pas du tout ressenti cette continuité dans la qualité. Le problème est le succès de Loos, car si on s’inspire de son esthétique avec dix fois moins d’argent, on est poussé à la simplification, et à la perte des savoir-faire.

Esthétique géométrique et industrialisation vont effectivement assez bien ensemble, sans que ce soit une fatalité. On peut tout aussi bien faire de l’ornement industrialisé (exemples en fonte ou terre cuite émaillée au XIXe), ou de la forme géométrique artisanale (Loos). Manifestement l’architecture classique a été plus fertile pour les constructions banales…Mais dans un système économique différent, où le travail était bon marché.

Le nouveau système économique, semble lié à une architecture aussi industrialisée que possible mais qui a perdu aussi bien la pureté géométrique que l’héritage classique. Restent des machines à habiter lumineuses, ronronnantes de VMC, emballées de polystyrène (mortel en cas d’incendie), aux cuisines tiroirisées (imbibées de formaldéhydes), aux cloisons sonores en carton-plâtre, aux menuiseries oscillo-battantes en PVC, aux douches « italiennes », bref dans la droite ligne de la maison du beau-frère de Mon oncle… Rassurons-nous, ce n’est qu’une part riche de la population mondiale qui se ridiculise dans cette grotesque orgie énergétique. Comme dans le film de Tati, il y a toujours des oncles qui persistent à habiter au sommet d’immeubles malpropres et alambiqués et à acheter leur poireau au marché de la place.

23 août 2012

état et système

Dans plusieurs des articles de ce site, on lit une opposition sous-jacente au « capitalisme ». Nous devons préciser cette critique car notre point de vue esthétique ‑ bien qu’il soit absent des discours politiques ‑ a quelque chose à apporter au débat. L’architecture est dépendante du modèle économique qui lui est contemporain : on ne peut pas en faire abstraction. A la fois capitaliste et redistributeur, le système actuel est très contraignant et soumis à la double contrainte du « rendement » et de la « protection sociale ». Comment penser une nouvelle utopie sans mettre à bas ces deux absolus qui se justifient l’un par l’autre ?

Pourquoi indexer la protection sociale sur le temps de travail ? On imagine que les temps de travail par le passé étaient énormes. C’est vrai au XIXe siècle avec les débuts de l’industrie, mais avant ? Chacun habitant près de son travail, le trajet était évité. Aujourd’hui, qui va payer ce transport ? Le travailleur, par sa fatigue et son argent. En admettant deux heures de trajet par jour pour aller et revenir de son lieu de travail, cela fait dix heures par semaine de transport : plus d’une journée supplémentaire… En définitive l’Etat soutient ainsi l’industrie automobile, pétrolière, autoroutière, ferroviaire, etc… parce qu’il est plus aisé de continuer que de réfléchir à un monde où l'on circulerait moins, où le travail ne serait pas perçu comme une marchandise quantifiable mais comme une valeur culturelle que chacun se doit d’apporter à la collectivité.

L’habitat vernaculaire que l’on peut redécouvrir dans les régions rurales ou dans les bidonvilles, est indépendant du système économique contrôlé par l’Etat : l’un est en marge de l’industrie et réalisée par des artisans sans protection sociale suivant un modèle hérité ; l’autre vit des déchets industriels, les recyclent, les agglomèrent, utilisant la tôle ou les bâches plastiques comme certaines cultures se servent de tissages d’osiers ou de roseaux. Si elle ne touche pas au monde agricole, l’industrie peut finalement se dissoudre dans les cultures locales. Ce serait donc l’Etat, par ses règlements d’urbanisme arbitraires, sa protection sociale fondée sur le temps de travail, ses règlement d’hygiène et de sécurité, ses législations sur les appels d’offre, ses choix d’aménagement du territoire, qui oriente la création plus sûrement que l’industrie…

Nous allons très loin dans le raisonnement en admettant que le système capitaliste pèse ainsi sur les choix des Etats et n’est donc pas réductible à l’industrialisation. Détestable par bien des aspects, l’état-système est de plus en plus financiarisé, il lisse la culture des peuples et tente de s’approprier le vivant… Si l’on suit ses règles (charges sociales et règlements d’urbanismes principalement), on ne peut pas réaliser d’architecture vernaculaire…

20 août 2012

Illichville

dessin A.S.

Plutôt qu’un agenda 21 et un Grenelle de l’environnement qui s’achèvent en jus de boudin, assumons pleinement l’utopie – il faut y penser avant de se croire capable de l’appliquer. Voici un texte résumant la dernière ville utopique à peu près sérieuse : Illichville, exemple pris sur Wikipedia, traduit et adapté par un militant du vélo urbain Marcel Robert (carfree) :

Au cours de l’histoire de l’urbanisme, les utopies urbaines ou villes idéales ont été nombreuses, depuis les projets des socialistes français dits “utopiques” au 19ème siècle (Saint-Simon, Cabet, Fourrier, Considérant) jusqu’aux théoriciens anglo-saxons (Owen, Henry George, Ruskin, Morris, etc.). Tous avaient pour socle commun le refus de la dégradation urbaine liée à l’industrialisation, la pollution et la pauvreté endémique engendrées par la révolution industrielle. Parmi ces “villes idéales”, on trouve le meilleur (les cités-jardins, les doctrines hygiénistes ou solidaires, etc.) et le pire (les aspects militaristes ou même sectaires de certaines communautés).

La plupart de ces projets urbains ont été imaginés avant l’avènement de l’automobile; ils ne se conçoivent donc pas en opposition avec elle mais cherchent à proposer un nouveau modèle de ville, en général plus proche de la nature et caractérisé par ce que l’on peut appeler une certaine forme de “désurbanisation”. Certains projets prévoient malgré tout la séparation des circulations, telle l’Icarie de Cabet qui interdit la circulation des carrioles et des chevaux à l’intérieur de la cité. Beaucoup de ces projets urbains ne sont restés que des utopies urbaines, mais certaines villes idéales ont été quand même réalisées, particulièrement aux Etats-Unis à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. La plupart de ces expériences urbanistiques sont restées malgré tout des échecs, mais elles ont eu une influence considérable sur de nombreux architectes et urbanistes du 20ème siècle.

17 août 2012

utopie now

L’Utopie est le symbole d’une modernité effrayante car le monde qui l’a vu naître, de Thomas More à William Morris, a été submergé par ce que l’on considère désormais comme son aboutissement dans l’horreur : le totalitarisme, l’univers d’Orwell. L’année 1945 marque ainsi la fin officielle des modèles utopiques interprétés comme l’application d’une abstraction à l’humanité. Mais utopie et totalitarisme sont-ils vraiment dans une relation de cause à effet ? La recherche d’un « modèle de société » depuis la Renaissance, est-elle bien celle qui a mis en place les tyrannies dévastatrices du fascisme ou du communisme ? N’est-ce pas plutôt un poncif ?

La preuve est maintenant sous nos yeux : la société post/hyper-industrielle contemporaine est aussi celle du lissage, du standard et de la surveillance. Pourtant, la destruction de la diversité ne s’y est pas imposée « par l’utopie », il n’y a même pas eu de violence apparente mais juste une obligation morale, inexprimée, déduite par défaut - ce qu'indique bien C.M.dans son article sur le futurisme. Le résultat est le même : un simple tour dans un super, hyper ou discount montre que les produits ont le même goût et la même provenance, parfois un étiquetage comparable à celui que l’on observait dans les boutiques soviétiques des années 1960. Certes, il n’y a ni problème d’achalandage, ni de queue interminable, mais les caddies vides sont de plus en plus nombreux. Il en est de même pour les logements : tous normalisés et de plus en plus inaccessibles ! Parlons de l'humain : si nous n’avons pas "épuré les races", nous avons tout de même "normalisé les comportements"…

13 août 2012

v. m. lampugnani

Parcourons les revues d’architecture : même s’il n’y a aujourd’hui en France que « d’A » qui semble suivre nos préoccupations contemporaines, il peut être utile de feuilleter quelques dinosaures comme A.A. Celui daté de mai-juin 2012 offre ainsi une navrante description poético-abstraite d’un architecte espagnol, Alberto Campo Baeza, spécialiste bien nommé de la construction pour particuliers, banques et gouvernements surendettés. Dans un pays ruiné par l’immobilier, A.A. décrit son œuvre(dans un style van-der-Rohe, hygiénisé et sécurisé, un tantinet déconstruit, paré de marbre d’un blanc corbuséen) comme une réussite, offrant une belle négation du contexte. Comme si la question du luxe décomplexé des financiers espagnols ne devrait pas nous indigner !

Passons, les numéros 388 et 389 laissent aussi une toute petite place à Vittorio Magnano Lampugnani, un critique dans notre ligne, un historien de l’urbanisme s’attaquant aux gestes gratuits et prônant une certaine ville banale respectueuse des valeurs d’usage. Mais A.A. ne peut laisser dire des choses pareilles et invoque, sous la plume du rebelle institutionnel Stanislaus von Moos, la « convention bourgeoise » (comprendre, avec mépris, « petite bourgeoisie »). Un argument marxiste ressassé alors qu’aujourd’hui il n’existe pas de convention plus bourgeoise que la pseudo-excentricité contemporaine : la norme consumériste qui fait rêver les pauvres est là, il faudrait enfin l’assumer… Car la sclérose historique de la convention bourgeoise n’est plus la tradition classique, c’est la convention moderniste, celle citée ci-dessus d’Alberto Campo Baeza. Depuis le début de la société de consommation (un demi-siècle déjà), le « style innovant » est celui qui protège le système capitaliste. Il n’est pas ailleurs que là, leur bourgeois gentilhomme ! Guy Debord ou Jacques Tati l’ont très bien montré, dès le début, et ce n’est toujours pas compris ?...

10 août 2012

en cotentin

dessin A.S.


Ici, dans ce recoin du monde, nous goûtons pleinement le vernaculaire, exception en Normandie. Du cidre et du fromage sans étiquette, du poulet qui marche dans la ferme et de l’agneau dans les prés salés, des pains de 4 livres, etc. Fouillons avec lenteur pour trouver, sympathiser, échanger. Il faut revenir et prendre des risques car ces produits sont strictement interdits par l’Europe, dangereux pour la santé, non-normalisés.Il faut une flore intestinale locale ou s’y adapter.

Quant au paysage, l’architecture peut changer d’un village à l’autre en fonction du sol : ici une terre épaisse, là un banc de schiste,juste à côté un socle de granit, et un peu plus loin du grès ou un filon de quartzite. Les bâtiments "anciens", disons construits suivant des méthodes traditionnelles, nous exposent directement la nature du sous-sol. Il est incroyable de voir aujourd’hui encore des habitants reprendre eux-mêmes les murs délabrés d’une maison. Pas certain qu’il y ait un permis de construire, en tous les cas rien de visible… Mais il reste un savoir-faire et visiblement tout le monde se rassemble pour le coup de main. Il y en a toujours un qui connait, qui apprend, qui trouve.

Ici, nous sommes aux côtés des "terres vaines et vagues", ces territoires que l’on ne peut pas occuper définitivement : marais, marécages, landes, bruyères. Sans propriétaire, ces terres restent un "bien commun", celui qui habite les rives pouvant y mettre ses bêtes à la belle saison. Ce que l’on faisait sans y réfléchir depuis des milliers d’années jusqu’à ce qu’un puissant affirme en être le seigneur et donne des autorisations.Une propriété ? Non, un vol, celui qui marque le début de la fin, quelque part autour du XIIIe siècle. Mais c’est chose difficile, ici, en Cotentin, où la notion de "bien commun" est encore et toujours dans les mémoires et dans les usages.

5 août 2012

bidonville flottant

Des bidonvilles à l’avenir incertain. En raison de l’augmentation de la population mondiale, le nombre de citadins vivant dans des zones aux conditions très inférieures à celle de leur ville augmente rapidement. Ces zones urbaines communément appelés « bidonvilles » se situes généralement dans les pays en voie de développement. Selon une étude entreprise par « UN-HABITAT », on estime qu'un milliard de personnes dans le monde vivent dans des taudis et que ce chiffre sera de 2 milliards d'ici à 2030. Les bidonvilles sont caractérisés par une structure organique composée de bâtiments non planifiés, bricolés avec les moyens du bord ayant pour résultat une combinaison dense et variée de matériaux aléatoires. Ils se développent habituellement à la périphérie des métropoles mais également en bordure maritime et fluviale. Lorsque la surface au sol est totalement construite, ils colonisent peu à peu et sans précautions la surface sur l’eau. Ils peuvent alors être qualifiés de « bidonvilles humides ».

D'une part, les bidonvilles sont écologiques par nature. Ils ont une faible incidence sur l'environnement et transforment petit à petit, avec la participation de leurs habitants, des zones abandonnées ou condamnées en espaces urbains de valeur. Ils réutilisent également une grande partie des déchets produits par leur métropole d’implantation. Cela aboutit à la formation de communautés semi-autarciques dans lesquelles des milliers de personnes évoluent au sein d’une culture qui leur est propre, avec leurs propres modes de vie et leur propre économie. D'autre part, les bidonvilles sont fragiles et très sensibles aux catastrophes naturelles et sanitaires ainsi qu’aux changements politiques et climatiques. Ils contiennent certains des problèmes sociaux et urbains persistant du 20e siècle. En plus d’être des habitats permanents, se sont aussi des zones qui continuent à se développer. Ils forment des pans entiers de villes vernaculaires contemporaines fabriquées avec les résidus de la société de consommation globale. Certains hébergent presque autant d’habitants que des villes comme Strasbourg ou Montpellier.

30 juil. 2012

conception future

À l’heure actuelle, il y a des problèmes plus importants à résoudre que l’élaboration d’une version moderne de la Tour de Babel. Une conception de grande qualité est avant tout basée sur la résolution des besoins, sur le fait de trouver une solution simple tout en limitant les destructions injustifiées. On dénombre aujourd’hui plus de 7 milliards d’habitants dans le monde, la moitié vivant dans des zones côtières. En 2050, ils seront 9,3 milliards selon les estimations des Nations Unies et 75% habitera dans ces zones côtières. Cette pression démographique associée à la montée rapide du niveau des océans fait courir le risque d’un point de rupture imminent. La redéfinition des processus de conception est peut être la meilleure façon de résoudre les problèmes communs.

Construire des villes de la même manière qu’après la Seconde Guerre Mondiale ne permettra pas de faire face aux enjeux environnementaux d'aujourd'hui. Bien qu’une conception monofonctionnelle et statique ait résolu certains problèmes majeurs du 20e siècle, les conditions actuelles exigent d’avoir des bâtiments à facettes multiples afin de justifier leur construction. Lorsqu’un élément urbain ne répond plus aux besoins de la communauté, sa démolition suivie par la reconstruction d’un nouveau est considérée comme la solution commune « élémentaire ». Cela s’applique même aux bâtiments qui n’ont pas atteint leur période de fin de vie.

Cette conception rigide finit par coûter plus cher que l’édification. Outre la connaissance des effets néfastes produits par les méthodes de construction moderne, un travail d'analyse des données couplé à des procédés techniques connus peuvent grandement atténuer l'impact de l’Homme sur son environnement. La relation des gens avec leur environnement est primordiale pour l’épanouissement d'une communauté saine, heureuse et prospère. En plus des changements climatiques, les tissus de la société, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux évoluent également. Décennie après décennie, il devient de plus en plus difficile de prévoir les besoins de la ville de demain. Puisque ces derniers sont variables, impulsifs, et incertains, les architectes et les ingénieurs tentent de modifier leur manière de concevoir afin de servir une atmosphère versatile. Le processus de conception ne doit pas seulement offrir des solutions adaptées et fiables, mais également être ajustable et apte à l'amélioration continue.

29 juil. 2012

régionaliste

Avignon, Y.B.


Souhaitons que les architectures s’ancrent dans un territoire. Les aires géographiques y correspondant sont un peu floues, mais repérables dans les constructions vernaculaires. Ce sont les traces d’anciennes différences culturelles et de leurs parentés. Si on s’installe quelque part, à mon sens, on a le devoir d’architecte de s’intéresser à ces traces d’admirations passées, par lesquelles l'Humain a construit un paysage particulier, suivant ses moyens matériels et ses attachements (économiques, fiscaux, militaires mais aussi gastronomiques, agricoles, familiaux, culturels, esthétiques ...). Evidemment ces attachements se sont modifiés, et surtout ceux liés à l’argent (comment on le gagne et comment on le dépense). Mais il reste une inertie, le monde mobile présenté comme un modèle désirable dans les médias, n’est plus aussi séduisant qu’après-guerre. Aujourd’hui dans chaque commune rurale une grande part de la population habite dans le même canton que ses parents. Alors que dans les villes nous sommes totalement soumis au discours dominant, les régions rurales restent indécises, à l’exode des années 1960 succède une ré-attachement local.

Les architectes commencent à comprendre que le "déracinement" encore revendiqué dans les couronnes des villes, puisqu’il est le reflet des populations elles-mêmes, n’a pas vraiment de sens à la campagne. Les zones rurales devenues touristiques, cherchent à retrouver une part de leur caractère. Evidemment les moyens utilisés ne sont pas aussi efficaces que prévu. Les règlements d’urbanisme bizarres, les appels d’offre où les matériaux d’apparence locale sont favorisés, les expositions sur les traditions agricoles, gastronomiques, ou même constructives n’empêchent pas la défiguration des paysages : les nappes de pavillons de constructeurs s’étendent, suivant scrupuleusement les règles d’urbanisme… Les zones dites artisanales et commerciales continuent leur déploiement de tôles colorées et de surfaces goudronnées. Les bâtiments publics soit suivent l’esthétique bon marché de la villa « ça m’suffit », soit copient les vedettes de l’architecture mais avec de petits budgets… Le travail de réappropriation d’une culture que l’architecte doit transmettre se retrouve encore absent de la plupart de ces nouvelles constructions. L’adjectif « régionaliste » a été accolé à des architectes tellement différents que l'on sait pas s’il veut encore dire quelque chose. Il a servi aussi pour l’écrivain Jean Giono : dans ce cas, prenons-le volontiers à notre compte.

28 juil. 2012

bar et science

A l’angle de la rue Bichat et de la rue Alibert, face à l’hôpital Saint- Louis, existe un bar fréquenté par le ‘‘petit peuple’’, des S.D.F. entre autre, peut-être quelques fripons (la racaille comme on dit aujourd’hui). Et puis aussi des gens du quartier qui viennent avec leurs enfants en bas-âge et leur chien. Les chiens font connaissance et manifestent leur joie lorsqu’ils rencontrent un copain ou une copine ; les femmes et les hommes aussi mais c’est plus rare et moins démonstratif. Un bar ordinaire pour gens simples. Or ce bar possède le plus beau comptoir que je connaisse. Dans le plus pur style des années 30. Mélange de matériaux, bois, cuivre, marbre rose et marbre gris, ornementation sous forme de médaillon. Le tout magnifiquement construit et composé, joignant l’utile à l’agréable.

Or en 1957 ce style ‘‘art déco’’ était honni par les profs et les adolescents de ‘‘bonne famille’’ de ma génération qui comme moi suivaient des cours de dessin et de décoration à ‘‘La Grande Chaumière’’. On jugeait que ce style fait de poncifs était ringard. . . Encore aujourd’hui, même si je ne suis pas ringard, cela me laisse pensif. Peut-être n’ai-je pas compris à l’époque que les modes se suivent et qu’il est de bon ton, pour marquer que l’on est dans le coup, de renier la mode précédente, laissant aux pratiquants adorateurs de la mode en cours l’illusion qu’ils sont les meilleurs, qu’ils ont fait un pas dans ce qu’ils croient être un progrès qui les élèvent, qu’ils appartiennent à une élite. Le bon goût, pensent-ils, ce sont eux ; il leur appartient. près avoir parlé de progrès dans les modes en art, parlons d’évolution : Evolution dans les Arts comme dans le monde du Vivant.


27 juil. 2012

mur en terre

dessin A.S.


Oublions les catalogues de Batimat, et surfons plutôt sur Wikipedia, à la rubrique pisé. Terre, pisé, bauge, les matériaux de demain seront seront certainement ceux d'hier, oubliés depuis l'expansion industrielle et redécouverts grâce à l'hypermémoire d'internet. Ils ne seront pas pour autant "regressifs". Le pisé est un très bel exemple : solide, économique, facile à mettre en oeuvre, avec d'excellentes propriétés pour isoler. Une matière qui peut se trouver sur le lieu même de la construction, sans le moindre déplacement. Aucune énergie grise.

Inutile pour autant de s'acharner à revenir vers la méthode traditionnelle : à chacun de voir comment optimiser son usage, utiliser des méthodes mécaniques, des coffrages en acier (de toute façon, ils existent), pourquoi pas une charpente en béton pour monter de nombreux étages. A chacun de regarder le paysage alentour, d'ajouter diverses roches et terres, de cuire quelques briques, de s'inspirer des formes et des couleurs. A voir : www.lesgrandsateliers.org/